Say It Out Loud!

Nourhene NOUREDDINE

Pendant de nombreux siècles, la musique était une force inébranlable dans la société, offrant des divertissements pour diverses cérémonies et événements, tout en proposant un débouché pour l’expression créative. La plupart des personnes voient le facteur de divertissement dans la musique, mais ne réalisent pas le pouvoir qu’a la musique d’influencer le changement social.

La musique, c’est quoi ?

Avant de se lancer dans le vif du sujet, il nous semble important de définir cette dernière. Nombreuses sont les définitions, du musicien, au philosophe, au médecin, au psychologue et au psychanalyste, elles changent de sens et de portée.

Selon le philosophe Gottfried Wilhelm Leibniz, c’est un mouvement arithmétique caché, pour le musicien Richard Strauss la musique traduit des impressions et des sensations. Anton Ehrenzweig, théoricien de l’art moderne, affirme que celle-ci est une langue symbolique de la compréhension inconsciente, dont nous ne pourrons jamais approfondir le symbolisme. La musique est unique, elle peut évoquer en nous n’importe quelle émotion, nous répondons instinctivement à des airs joyeux, des chansons tristes, de belles mélodies, des hymnes inspirants, des chansons de révolte.

La musique engagée ?

La chanson engagée défend une cause (sociale, politique) pour dénoncer des abus ou des injustices. Les protestations sont l’expression des préoccupations d’une société face aux événements qui l’affectent, que ce soit par des rassemblements publics, des piquets de grève, des émeutes… Protester par la musique est un moyen puissant pour impliquer les citoyens. Tous les chanteurs dénoncent un jour, en chanson, un abus ou une injustice, mais tous ne se mettent pas au service d’une cause, ce qui fait la différence entre chanson révoltée et chanson engagée. La chanson révoltée se résume en une traduction immédiate et passagère d’une indignation, elle est éphémère et le plus souvent sans lendemain. Tandis que la chanson engagée est partisane et forme la trame émotionnelle du militantisme. Un chanteur engagé ne change pas radicalement le monde, mais il peut changer des individus ou du moins donner du courage à ceux qui luttent contre des abus et les aider à se sentir moins seuls. Les hymnes nationaux ont le pouvoir de rassembler une nation, une chanson engagée bien tissée peut ébranler tout un système politique.

Musique et guerre du Vietnam

La guerre du Vietnam est un conflit armé qui a opposé le gouvernement communiste du Nord-Vietnam au Sud-Vietnam et son principal allié, les États-Unis. Plus de 3 millions de personnes (dont plus de 58000 américains) ont été tuées pendant cette guerre.

La musique durant cette période était caractérisée par des nuances politiques, car les artistes ont utilisé leur art comme un outil pour exprimer leur opinion vis-à-vis de cette guerre.

Au début, le soutien et la loyauté des américains étaient présents dans les chansons, jusqu’à la fin de la guerre où la colère et la méfiance étaient évidentes dans les paroles musicales. L’opinion publique américaine a changé au sujet de la guerre, et ce changement était facilement reconnaissable à travers les modifications des paroles musicales. Les américains se sont lassés de l’envoi constant des troupes au Vietnam, comme le témoigne si bien la chanson ‘I Feel Like I’m Fixin’ qui dénonce l’absurdité de cette guerre, ou encore la chanson ‘Fortunate Son’ qui est une attaque contre les enfants de privilège (fils de sénateurs, millionnaires, militaires) dont les parents usaient de leur pouvoir pour les garder hors de danger, tout en envoyant des milliers d’autres au combat.

Nous ne pouvons parler de cette période sans évoquer Bob Dylan ! Par exemple, dans sa chanson ‘With God On Our Side’, Dylan fait une critique de la manière dont la société considère la justice et la guerre, il capte l’attention des auditeurs en abordant les lacunes dans la façon dont l’histoire de la guerre est racontée, il souligne aussi l’absence de justice et de transparence dans la plupart des décisions historiques.

Boris Vian, Le Déserteur

C’est une célèbre chanson anti-guerre écrite par Boris Vian, artiste français, au lendemain de la bataille de Dien Bien Phu en mai 1954. Pas d’injures ni de violence dans Le Déserteur mais un antimilitarisme très mal vu en pleine guerre d’Indochine. La chanson est une lettre ouverte au président où l’on peut y écouter « S’il faut donner son sang, allez donner le vôtre, vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président ». À cet effet, il était interdit par la censure de diffuser ou de vendre cette chanson, interdiction qui a duré jusqu’en 1962. Traduite en plusieurs langues, elle était devenue l’une des principales chansons anti- guerres de l’époque.

Révolution égyptienne, À chaque révolution sa musique !

À la fin du mois de janvier 2011, des milliers d’Égyptiens occupent la place Tahrir, demandant le départ du Président Mubarak.

Durant cette période, la musique égyptienne a connu une tout autre tournure. Au milieu de la place Tahrir s’enchainaient les concerts de plusieurs chanteurs indépendants venant exprimer leur voix et leur colère par la plus belle des manières. L’Histoire retiendra Ramy Essam, considéré comme la voix de la révolution égyptienne, notamment avec sa chanson ‘Irhal’. Des paroles simples sous forme de slogans, qui avaient réussi à réunir tout un peuple déterminé.

Fairuz, Lettre à Djamila

La musique, comme cité plus haut, a toujours accompagné les événements historiques. Et la guerre de libération algérienne 1954-1962 ne fait pas l’exception. En effet, la diva libanaise Fairuz a apporté son soutien à la cause algérienne en dédiant une de ses chansons à la grande militante Djamila Bouhired. Dans ‘Lettre à Djamila’, Fairuz salue le courage de Djamila et la soutient dans sa lutte contre l’oppresseur français. Cette chanson a eu un réel impact sur la médiatisation du procès de la militante, rendant Djamila Bouhired une héroïne éternelle dans tout le monde arabe.

Tout au long de l’Histoire, la musique a fait partie intégrante de l’expression des opinions et des positions des militants en temps de guerre et d’autres formes de troubles politiques. La musique a le pouvoir de réconforter l’âme, stimuler la pensée mais aussi de rassembler les personnes qui ont les mêmes préoccupations et qui se reconnaissent à travers les paroles d’une chanson, afin de nourrir les idées rationnels par leur carburant émotionnel.

Références :

  • Les principes de la sociologie de la musique- Alphons SILBERMANN
  • Vietnam War – history.com