La Guerre du Péloponnèse -Thucydide
Yanis AFIR
Il est des événements du passé dont l’étude éclaire les problématiques du monde présent et démystifie ses certitudes ; la guerre du Péloponnèse en fait certainement partie. Considéré par beaucoup comme une étape décisive de la pensée humaine, le récit de Thucydide a révolutionné les sciences historiques par sa méthode et sa réflexion. Le présent article se veut une modeste immersion dans cette oeuvre qui demeure une référence étudiée jusqu’à nos jours.
La Guerre du Péloponnèse retrace les affrontements tragiques et sanglants qui eurent lieu entre Lacédémone et Athènes, alors les deux plus grandes puissances de la Grèce, et qui changèrent à jamais le visage de la région. Les évènements sont relatés par Thucydide (460 av. J.-C.), brillant historien, et qui se trouve être de surcroît l’un des belligérants de cette affaire. Il était en effet Stratège Athénien (équivalent de Général) et a participé activement à la guerre et à la vie politique d’Athènes.
Au premier abord, il est difficile de croire que cette oeuvre fut écrite quatre siècles avant notre temps, tant elle paraît moderne. Alors que ses contemporains livrent des récits fantastiques et fantasmagoriques où la réalité semble obéir aux commandements des oracles et où l’issue des batailles est conditionnée par la bonne volonté des dieux, le natif de Halimunte se refuse à envisager d’autres faits que les agissements de l’homme et à chercher leur explication en dehors de la nature humaine. Il décrit un monde entièrement soumis à la logique, où la subordination des conséquences aux causes est sans rupture.
De caractère modéré, il a horreur des excès de démagogie et des caprices de l’aristocratie. Il se garde cependant bien de s’indigner devant les actes de violence, car même si révolté sur le plan humain, il comprend que dans les rapports entre les peuples, c’est la raison d’Etat qui est la loi suprême.
Pour Yves Lacoste, c’est avec Thucydide qu’apparaît véritablement l’Histoire, car c’est la première fois que l’on observe une recherche consciente de l’intelligibilité des actes humains. Il dit de lui qu’il est « le premier historien véritable et celui dont la valeur surclasse incontestablement la cohorte de ceux qui l’ont suivi. Avant le XIXe siècle, Thucydide ne sera dépassé que par Ibn Khaldoun. Le premier est l’inventeur de l’Histoire. Le second marque l’apparition de l’Histoire en tant que science. »
Les causes de la guerre
Thucydide consacre l’intégralité de son premier livre à tenter d’expliquer les raisons qui, selon lui, ont amené la guerre. Il trace d’abord les grandes lignes géo-stratégiques de la région. Au début de son histoire, la Grèce était dominée par la migration des peuples et la piraterie. De ce fait, les villes les plus anciennes, dont Lacédémone, plus connue sous le nom de Sparte, étaient situées sur terre, loin de la côte, à l’abri des jumelles des écumeurs de mer. Ce n’est qu’après la constitution de marines propres aux cités et l’éradication de la piraterie que les villes commencèrent à se construire près de la mer.
Lacédémone était une des plus anciennes et des plus puissantes cités de Grèce, régie par d’antiques lois solides qui maintinrent sa stabilité et contribuèrent à accroître sa puissance. Elle était tournée vers l’agriculture et possédait l’armée de terre la plus puissante de la Grèce, en plus de ses unions avec d’autres cités dans l’alliance du Péloponnèse.
Athènes quant à elle ne prit réellement de l’importance qu’après les guerres médiques, avec ses exploits face aux Perses. Lorsque ceux-ci l’envahirent, les Athéniens durent abandonner leur ville et fuir à bord de leurs bateaux.
Depuis, ils devinrent un peuple des mers. Ils vaquaient au commerce, fondaient des colonies partout, jusqu’à la constitution de la marine la plus imposante de la Grèce. Ils avaient également contracté des alliances avec des cités grecques dans le cadre de la Ligue de Délos.
Notons que les deux villes ne traitaient pas leurs alliés de la même manière. Les Lacédémoniens n’imposaient pas de tribut mais faisaient en sorte qu’ils se gouvernassent selon les principes oligarchiques. Les Athéniens, quant à eux, exigeaient des navires et imposaient à tous de l’argent en tribut.
Pendant la période qui suivit les guerres médiques, Athènes était à son âge d’or ; jamais une ville grecque n’a égalé une telle richesse et une telle puissance. Elle n’avait de cesse d’étendre son empire émergent et son emprise sur les Grecques. Cette splendeur attisait la jalousie et surtout la crainte de sa rivale, Sparte, qui ne pouvait accepter d’être rattrapée ou concurrencée. C’est précisément cela qui rendit la guerre inévitable. Thucydide fut le premier à théoriser cette relation conflictuelle obligatoire entre deux puissances, l’une ancrée et l’autre émergente.
Après les guerres médiques, et à cause de quelques échauffourées, Sparte et Athènes conclurent un traité de paix qui devait durer 30 ans. Pendant ce temps, la puissance d’Athènes ne cessait de croître et les tensions entre les protagonistes ne faiblirent pas. Finalement, l’élément déclencheur fut un litige entre deux alliés de Lacédémone, Corinthe et Corcyre, à propos d’une petite colonie appelée Épidamne qu’ils revendiquaient mutuellement.
Corcyre était dotée d’une puissante flotte et avait d’ailleurs fait subir une défaite en mer aux Corinthiens, qui pourtant possédaient eux aussi une flotte redoutable. Ces derniers ne renoncèrent pourtant pas et amenèrent des troupes de tout le Péloponnèse pour assiéger Corcyre. Se sentant menacés, et voyant que Lacédémone ne voulait pas prendre part dans ce conflit, les Corcyréens décidèrent de demander de l’aide à leurs ennemis Athéniens.
Les Corinthiens voulaient les en empêcher. Le débat à l’assemblée d’Athènes fut tumultueux, les corinthiens avançaient des arguments historiquement et légalement légitimes : ils avaient depuis longtemps de bonnes relations avec les Athéniens, ils les avaient même défendus lorsque l’alliance du Péloponnèse voulait les attaquer. De plus, le traité de paix avec Lacédémone les empêchait de comploter contre Corinthe.
Cependant, les Corcyréens surent trouver les mots pour balayer ces arguments. Ils opposèrent l’intérêt stratégique à la légitimité historique et la raison d’État à la raison humaine. Ils déclarèrent aux Athéniens qu’il n’y avait que 3 puissances maritimes en Grèce : la leur, celle d’Athènes et celle de Corinthe. S’ils laissaient les Corinthiens gagner face à Corcyre, ils prendraient possession de leur marine et pourraient rivaliser, voire surpasser celle d’Athènes. Mais si Athènes défendait Corcyre, ils détruiraient ensemble la seule autre flotte puissante de la Grèce.
En bon stratège, le leader d’Athènes Périclès, en qui Thucydide voyait l’incarnation de l’Homme d’État, voyait la guerre venir de loin. Il comprit qu’elle arriverait tôt ou tard ; si ce n’était pas à cause de Corcyre, ç’eut été à cause d’un autre prétexte. Il valait mieux prendre les devants pour avoir l’avantage. Les Athéniens choisirent de s’allier à Corcyre dans une alliance défensive.
Les deux armées, Corinthiens et leurs alliés d’un côté, Corcyréens et Athéniens de l’autre, se firent face. Ce fut, par le nombre des vaisseaux, le combat entre Grecs le plus impressionnant qui eût été livré jusqu’à lors. Les pertes étaient lourdes des deux côtés et la victoire indécise.
Les Corinthiens n’en restèrent pas là, ils voulaient à tout prix précipiter la guerre avec Athènes. À l’aide de leurs alliés de Mégare, ils firent compagne dans tout le Péloponnèse pour promouvoir la guerre et incitèrent les peuples de Thrace et de Macédoine à se soulever contre le dictat athénien. Les Athéniens réussirent à éteindre les révoltes et imposèrent, pour se venger contre les Mégariens, le premier embargo économique de l’histoire.
Cependant, la situation avait déjà atteint le point de non-retour lorsque les Corinthiens achevèrent de déclencher la guerre en exhortant Sparte de rentrer en jeu. Ils surent trouver les mots pour les convaincre en leur reprochant leur inertie et leur pusillanimité face aux machinations de l’ennemi. Comme si cela ne suffisait pas, ils titillèrent leur égo en leur éructant une comparaison acerbe sans équivoque entre leurs faiblesses et les qualités supposées des Athéniens : « Quelle différence, quelle différence totale avec vous ! Ils aiment les innovations, sont prompts à concevoir et à réaliser ce qu’ils ont résolu ; vous, si vous vous entendez à sauvegarder ce qui existe, vous manquez d’invention et vous ne faites même pas le nécessaire. Eux se montrent audacieux, au-delà même de leurs forces ; hardis, au-delà de toute attente, pleins d’espoir même dans les dangers. Votre ligne de conduite consiste à faire moins que vous ne pouvez ; vous vous défiez même de ce qui est certain ; vous vous imaginez que jamais vous ne pourrez vous tirer des situations difficiles. (…) Ils jouissent très peu du présent, parce qu’ils veulent toujours acquérir davantage ; c’est qu’à leurs yeux, il n’y a pas d’autre fête que l’accomplissement du devoir, un repos sans occupation leur pèse plus qu’une activité pénible. Bref, en disant que de leur naturel, ils sont aussi incapables de se tenir tranquilles que de laisser les autres tranquilles, on dirait la stricte vérité. »
Le roi de Lacédémone, Arkhidamos, n’était pas enchanté par l’idée. Il voulait gagner du temps pour combler l’infériorité maritime et financière de sa cité. Mais son assemblée vota autrement, et le traité de paix fut déclaré rompu 14 ans après son adoption, en 432 av. J.-C.
En moins d’une année, les préparatifs se trouvèrent terminés et les hostilités ouvertement déclarées.
Première guerre du Péloponnèse (431-421 av. J.-C.)
Des deux côtés on se disposa à envoyer des ambassades auprès des différentes puissances en Grèce et en dehors. La sympathie générale inclinait du côté des Lacédémoniens, car ils traitaient avec égare leurs alliés et les cités craignaient de tomber sous le joug athénien.
Les Lacédémoniens furent les premiers à attaquer. Ils rassemblèrent une armée immense et envahirent l’Attique. Ils avaient l’intention d’assiéger puis détruire les compagnes athéniennes pour les forcer à se battre en terrain découvert. Dotés d’une puissance terrestre pratiquement invincible, ils étaient confiants et pensaient s’assurer une victoire rapide.
Cependant, Périclès avait anticipé ces mouvements et avait pris ses dispositions. Il ordonna de transporter les gens de la compagne ainsi que tous leurs biens à l’intérieur des murailles de la citadelle. De plus, en exploitant le mur imprenable dont disposait Athènes et qui la reliait directement à un fort en bord de mer, il fit venir massivement des marchandises par bateaux, s’assurant ainsi un approvisionnement suffisant malgré le siège.
Ce n’était pas tout, Périclès profita du fait que l’essentiel de l’armée Lacédémonienne siégeait sous ses murs pour les prendre à revers. Il envoya sa marine pour établir des blocus sur les routes commerciales desservant la péninsule du Péloponnèse. Les Spartiates se virent obligés de congédier leurs alliés pour aller défendre ces positions stratégiques et ne laissèrent qu’une petite armée à Athènes. Incapables de la prendre, ils durent se retirer d’eux-mêmes.
Encouragé par cette victoire, Périclès voulu prendre Mégare, qui était dotée d’une position stratégique. Mais les Athéniens jugèrent l’entreprise périlleuse et trop couteuse en hommes et en matériel. Ce fut une grosse erreur, car l’été suivant, en 430 av. J.-C., le fléau s’abattit sur Athènes. La peste ravagea la ville. Celle-ci était si densément peuplée que la maladie se propagea à une vitesse vertigineuse et dura plus de deux ans. La population était décimée, et les soldats que l’assemblée avait décidé de ne pas sacrifier sur les champs de bataille se sont retrouvés face à une mort sans gloire. Comme si cela ne suffisait pas, la peste emporta également le chef Périclès chez Hadès.
Selon Thucydide, la mort de Périclès scella quasiment le sort d’Athènes. « Après sa mort, on vit mieux encore l’exactitude de ses prévisions. Il avait prédit le succès aux Athéniens s’ils se tenaient en repos, s’ils donnaient tous leurs soins à la marine, s’ils renonçaient à augmenter leur empire pendant la guerre et s’ils ne mettaient pas l’État en danger. Mais sur tous ces points on fit juste le contraire. »
Après la mort de Périclès, les Athéniens élurent à leur tête Cléon, un aristocrate coléreux et démagogue, qui voulait porter la guerre dans la péninsule du Péloponnèse et envahir les territoires ennemis.
Les premières victoires étaient pour les Athéniens, ils affirmèrent leur écrasante supériorité en mer en remportant plusieurs batailles dans lesquelles ils démontrèrent leur audace, et ce, même en infériorité numérique.
Par exemple, dans une célèbre bataille face aux Corinthiens, à la tête de 47 navires, les Athéniens, n’en alignant que 20, les prirent par surprise et leur tournèrent autour sans attaquer. Les Corinthiens étaient disposés en grand cercle et les Athéniens, se rapprochant petit à petit, forçaient le cercle à se resserrer au maximum, si bien qu’ils neutralisèrent la supériorité numérique de l’ennemi, les bateaux se gênaient les uns les autres et ne pouvaient plus manoeuvrer. Les Athéniens leurs fendirent dessus et les massacrèrent.
Cependant, sans Périclès à leur tête, les Athéniens manquaient cruellement de retenue. Ils faillirent se faire des ennemis dans toute la Grèce lorsque, après avoir étouffé une révolte à Mytilène, Cléon, enragé, demanda à massacrer tous les hommes et réduire en esclavage les femmes et les enfants. Heureusement qu’il demeurait encore dans l’assemblée athénienne des gens sages qui ne se laissaient pas guider par leurs émotions. Diodotos prit la parole et invoqua la raison et l’intelligence face à la hâte et la colère. « Nous ne sommes pas des juges ; nous n’avons pas à rechercher le droit strict, mais à délibérer sur ce que réclame à leur sujet notre intérêt. » Selon lui, il était inconcevable de punir tout un peuple pour un crime commis par ses dirigeants, cela renforcerait les allégations des Lacédémoniens que les Athéniens ne cherchaient qu’à assujettir les autres états. Chaque fois qu’une cité fera défection, elle aura immédiatement le concours de son peuple, sachant le sort qui leur sera réservé de toutes les façons. Les Athéniens votèrent finalement la résolution de Diodotos et ne punirent que les dirigeants de Mytilène.
En 425 av. J.-C., l’armée Spartiate envahit Corcyre, forçant les Athéniens à envoyer leur marine pour la défendre, sous le commandement du stratège Démosthène.
Ils se confrontèrent cependant à une tempête qui les força à amarrer. Malheureusement pour Démosthène, les vents le conduisirent sur la côte du Péloponnèse, près de la ville de Pylos.
Les Lacédémoniens prirent connaissance de la position des troupes athéniennes et n’allaient pas laisser cette occasion leur échapper. Démosthène comprit cela et envoya aussitôt des navires à la recherche de renforts. Avec le peu d’hommes et de matériel dont il disposait, il fortifia sa position et réussit à résister aux attaques successives de l’ennemi.
Mais il ne pouvait tenir la position très longtemps et était sur le point de craquer quand enfin surgit à l’horizon la flotte athénienne, répondant à l’appel de secours. Une sanglante bataille navale s’en suivit, les pertes étaient lourdes des deux côtés, mais la supériorité technique athénienne prévalut une fois de plus. La flotte spartiate était brisée et la situation avait changé, c’étaient désormais les Athéniens qui pourchassaient l’ennemi.
Un peu plus de 400 Spartiates se réfugièrent sur l’île de Sphacteria. Les Athéniens les assiégèrent mais ne se résolurent pas à attaquer, trouvant qu’il était trop risqué de défier les soldats d’élite de Sparte sur terre, ils décidèrent de les affamer. Mais les spartiates réussirent à envoyer des vivres à leurs hommes via des nageurs.
C’est alors qu’arriva Cléon au front, il proclama qu’il pourrait vaincre les spartiates sur terre. Il prit des renforts d’infanterie légère et fondit sur les lignes ennemies. À chaque fois qu’une phalange de Spartiates s’avançait, les archers leurs tombaient dessus, puis les lanceurs de javelots finissaient le travail. Lorsque les Spartiates essayaient de les pourchasser ils prenaient la fuite aisément grâce à leur mobilité. À force de les harceler, les Athéniens réussirent à encercler les Spartiates. Privés de tout espoir, ils n’eurent d’autre choix que de déposer les armes.
Cette nouvelle choqua toute la Grèce, jamais auparavant les Spartiates ne s’étaient rendus et pris prisonniers, ils avaient toujours résisté jusqu’à la mort. Nul n’imaginait que la faim ou quelque nécessité que ce fût, put contraindre les Lacédémoniens à mettre bas les armes.
Les Athéniens firent près de 300 prisonniers, dont une centaine faisait partie des plus nobles familles de Sparte. Cléon menaça de tuer tous les prisonniers si Lacédémone osait envahir l’Attique. De cette manière, la population athénienne pourrait à nouveau cultiver les champs autour de la ville.
Les Lacédémoniens ne se découragèrent pas, le général Brasidas marcha contre Amphipolis, une colonie d’Athènes. Les habitants qui étaient encore fidèles à cette dernière appelèrent au secours un stratège amarré au littoral de la Thrace. C’était Thucydide, l’auteur de la présente histoire. À cette demande, il mit les voiles avec les 7 vaisseaux qu’il avait sous la main. Brasidas, craignant que les renforts n’arrivassent essaya de ménager les habitants pour les faire soumettre. Aussi leur proposa-t-il des conditions de reddition modérées. Il fit savoir que ceux des Amphipolitains et des Athéniens qui le voudraient pourraient rester dans la ville en conservant la totalité de leurs droits ; ceux qui s’y refuseraient, pourraient sortir en emportant ce qui leur appartenait. La population fut enchantée et accepta.
Thucydide ne put donc empêcher la prise d’Amphipolis. Les Athéniens éprouvèrent des craintes fort vives car cette ville leur fournissait du bois de construction pour leurs vaisseaux et des revenus importants. Ils jugèrent Thucydide coupable de la chute d’Amphipolis et on ne sait si la sentence proclamée contre lui fut l’exil ou la peine de mort.
Informées de la prise d’Amphipolis, et surtout de la clémence de Brasidas, plusieurs villes étaient prêtes à se révolter. Les Athéniens, ne pouvaient rester les bras croisés et envoyèrent leur armée sous le commandement de Cléon à la rencontre de Brasidas. Arrivés près de l’ennemi, les Athéniens attendirent l’arrivée de renforts avant de s’élancer. Brasidas les prit de vitesse et attaqua par surprise. Cette offensive désorganisa complètement l’armée athénienne qui ne put se défendre. Durant la bataille Brasidas fut mortellement blessé mais il survécut assez longtemps pour assister à la victoire écrasante de son armée. Côté Athénien, les pertes étaient nombreuses, avec de surcroît la mort de Cléon. Cette victoire de Sparte était décisive.
La paix de Nicias (421 av. J.-C.)
La guerre durait déjà depuis plus de 10 ans. Les Athéniens voulaient d’un traité de paix car ils étaient épuisés et ruinés. Les Lacédémoniens quant à eux voyaient leur trêve avec la puissante ville d’Argos toucher à sa fin ; ils redoutaient de devoir combattre Athènes et Argos en même temps, aussi désiraient-ils la paix.
Le stratège athénien Nicias et le roi par intérim spartiate Pleistolas établirent un accord de paix qui prévoyait entre autres la restitution de tous les territoires conquis pendant la guerre et la libération des prisonniers spartiates. Cet accord, aujourd’hui nommé Paix de Nicias, devait durer 50 ans. Ainsi s’acheva la première guerre du Péloponnèse.
Deuxième guerre du Péloponnèse et fin de l’empire athénien (421-409 av. J.-C.)
Le traité qui devait durer 50 ans ne dura finalement que 6 ans et 10 mois. Thucydide note avec clairvoyance la nécessité de comptabiliser ce temps comme faisant partie de la guerre, car il n’y avait pas réellement de paix. Il n’y avait certes pas de conflit armé direct mais les termes du traité ne cessèrent d’être violés et on profita de cette trêve mal assurée pour se faire réciproquement tout le mal possible.
Dès le départ, certains alliés Péloponnésiens, notamment Corinthe et Thèbes, refusaient le traité. Les Lacédémoniens avaient peur qu’ils ne se soulevassent contre eux, aussi conclurent-ils un accord d’aide mutuelle avec leur ennemi Athènes ! Cet accord était naturellement fragile et les Athéniens ne tardèrent pas à jouer sur les différends entre Péloponnésiens pour faire éclater leurs alliances. Ils passèrent ensuite du côté d’Argos.
Alors les Spartiates rassemblèrent leurs troupes et marchèrent contre les forces combinées d’Argos et d’Athènes. Les deux immenses armées se firent face dans la bataille de Mantinée (418 av. J.-C.), que Thucydide qualifie de plus important combat que les Grecs eussent livré depuis longtemps et qui mit aux prises les villes les plus emblématiques.
Une nouvelle fois, les Spartiates montrèrent leur écrasante supériorité sur terre et anéantirent l’ennemi.
Malgré la défaite, les Athéniens entamèrent une ambitieuse campagne visant à dominer la Sicile, dans le but de couper les Péloponnésiens de cette arrière-garde et leur infliger de graves pénuries.
Le plan étant très risqué, les dirigeants d’Athènes n’arrivaient pas à se mettre d’accord dessus. Les dissensions internes étaient telles qu’on organisa un complot contre Alcibiade, alors l’homme fort d’Athènes. Condamné à l’exil, il trouva refuge à Sparte où, pour se venger, il révéla les plans de l’expédition athénienne.
Sparte envoya immédiatement des hommes pour former et préparer la puissante ville de Syracuse à l’arrivée des Athéniens. Ces derniers avaient envoyé leur marine sous le commandement de Nicias et assiégèrent Syracuse. Mais à mesure que Sparte envoyait des renforts et de l’argent, Nicias compris que la position était périlleuse et qu’il ne pourrait prendre la ville. Il envoya des messages à ses dirigeants pour lever le siège mais ceux-ci lui ordonnèrent de le maintenir et lui envoyèrent des renforts conduits par Démosthène.
Malgré les renforts, les Athéniens n’arrivaient toujours pas à prendre l’avantage et les deux stratèges décidèrent de battre en retraite. La nuit où ils s’apprêtaient à partir, une éclipse lunaire eut lieu ; les athéniens interprétèrent cela comme un présage de leur victoire proche et décidèrent de maintenir leur position. Ce fut une grave erreur ; les Syracusains attaquèrent audacieusement là où les Athéniens les attendaient le moins : par mer. Ils réussirent à encercler la marine athénienne et l’étrillèrent. Les troupes terrestres étaient également dans une situation désespérée ; sans leur marine, elles ne pouvaient rentrer chez elles. Elles tentèrent de fuir mais furent pourchassées et vaincues à leur tour.
Le corps expéditionnaire athénien était complètement anéanti. Les victimes étaient innombrables et les prisonniers se comptaient par milliers. Les stratèges Nicias et Démosthène furent exécutés. La défaite était écrasante.
Les Spartiates profitèrent de la déroute de la marine Athénienne pour bloquer les routes d’approvisionnement et les mines d’argent en Asie mineure, privant Athènes de ses richesses.
C’est sur ces entrefaites que s’achève le récit de Thucydide sur la guerre du Péloponnèse, 22 ans après son déclenchement, et 5 ans avant son achèvement. S’arrêta-t-il volontairement ou fut-il interrompu par la mort ? On l’ignore.
Quoi qu’il en soit, la guerre se terminait dans le même sillage. Les Spartiates savaient que les Athéniens étaient à bout, alors pour leur infliger le coup de grâce, ils s’appuyèrent sur leur ennemi historique : l’empire Perse. Ils leur cédèrent des colonies grecques en Asie mineure en échange de leur aide pour vaincre la marine athénienne. Malgré leur bravoure, les Athéniens ne purent maintenir la lutte. Sans armée, sans marine, sans alliés et sans richesses, ils n’eurent d’autre choix que de capituler. Ils signèrent leur reddition en 404 av. J.C.
Les spartiates leur imposèrent la destruction des fortifications protégeant la ville, la réduction considérable de la marine athénienne ainsi qu’un tribut payé à titre d’indemnité de guerre. La ligue de Délos fut dissoute et Sparte triomphait majestueusement. Plus aucune ville ne pouvait rivaliser avec le puissant vainqueur de la guerre du Péloponnèse et la domination Lacédémonienne sur la Grèce était totale.
Conclusion
Il est fascinant de constater que des événements, apparemment indépendants survenus il y a des siècles, sont régis par les mêmes lois et coordonnés par les mêmes mécanismes que notre monde actuel ; pour peu qu’on les comprenne, on pourra mieux déchiffrer notre réalité. C’est bien ce qu’a su concevoir Thucydide, et c’est là que réside son génie. Rompant avec les récits poétiques et ingénieux, il fixe à l’histoire son but et assure sa marche. Il nous apprend que l’histoire n’est pas une distraction passagère, charmante par ses fictions et ses fantaisies, mais bien une acquisition pour les générations à venir.