Immunité de l’esprit
Arslan ALLOUACHE
Tout comme le corps, qui est continuellement sujet à des menaces provenant du milieu extérieur, l’esprit est lui aussi menacé par des processus de pensée qui lui sont délétères. Et tout comme le corps qui dispose d’un système immunitaire capable de protéger son « soi » contre d’éventuels pathogènes physiques, le « soi » spirituel et intellectuel doit développer des mécanismes de défense contre les pathogènes psychiques qui, s’ils parviennent à déjouer les défenses de leur hôte, peuvent provoquer, de même qu’une infection, une aliénation de l’esprit.
L’être humain est la seule espèce à s’être intéressée avec autant de passion au mécanisme derrière son raisonnement, la seule à avoir cherché à « penser sa pensée » et à raisonner son raisonnement. En effet, au cours de son développement, l’homme est parvenu, de par le développement de sa vie sociale et de la complexification de son langage, à dégager des règles logiques et générales définissant l’action de penser ou de penser « correctement ». C’est ainsi que depuis l’antiquité, on a cherché à définir ce qu’est la pensée. Platon la définit comme « un dialogue invisible et silencieux de l’âme avec elle-même » elle est ainsi apparentée à un processus intrinsèque ayant pour objet la connaissance.
De ce fait, il est plausible d’apparenter la pensée à un système à part entière qui peut être sujet à des changements et des remaniements sous l’influence de divers facteurs extrinsèques. Plus encore, on pourrait, par extension, apparenter ces facteurs extrinsèques capables d’engendrer une altération de la pensée à des agents pathogènes. Et c’est pourquoi, en acceptant cet abus de langage, une « immunité », étant définie comme l’ensemble des processus permettant la protection du soi contre les agents pathogènes, doit si elle se veut totale, comprendre également un mécanisme de défense de l’identité d’un être, puis par extension, d’un peuple et d’une nation.
Mais quels sont alors les mécanismes dont dispose notre esprit face à de tels pathogènes ?
Première ligne de défense
La première ligne de défense du système immunitaire psychique qui, tout comme une barrière naturelle rejetant et empêchant l’accès des agents néfastes au milieu intérieur, est un réflexe de remise en question de toute idée reçue, généralisation intempestive, ou jugement véhiculé par les médias adeptes du « prêt-à-penser ». Ainsi il va de soi qu’aucune idée ne peut être acceptée sans avoir été, préalablement passée au crible et tamisée par la critique et la raison. Aristote disait : « le doute est le commencement de la sagesse ». Mais que faire lorsque les idées erronées ont déjà été implantées dans notre raisonnement et exercent leur effet en faussant le jugement de la personne par l’action délétère de leur non-sens, pire encore, un non-sens peut « infecter » l’hôte et altérer sa capacité de discernement favorisant le développement d’un système de raisonnement erroné ? Nécessité est alors, pour la santé de l’esprit, d’avoir un système traquant ce type d’idées.
Deuxième ligne de défense
A la manière de l’immunité innée filtrant le corps à la recherche d’agents pathogènes, il est nécessaire d’avoir un système d’évaluation de toute idée implémentée dans le système de pensée, pour discerner les idées dérivées d’un processus logique de celles résultant d’un conditionnement préalable ou d’une impression subjective. C’est pour cela qu’une analyse introspective, un repli sur soi, est parfois nécessaire pour savoir si les connaissances et avis déjà acquis, ou considérés comme acquis, relèvent d’un véritable processus analytique basé sur la raison ou sur de simples généralisations à partir d’expériences personnelles ou de jugements subjectifs.
Avis critique et immunité adaptative
Néanmoins, parallèlement à l’immunité qui ne saurait être complète et efficace sans l’existence d’une immunité adaptative capable d’organiser les processus défensifs, l’immunité de l’esprit ne saurait être optimale sans la mise en place d’un « sens critique », c’est-à-dire un mécanisme à même d’organiser la réception d’information, son analyse puis son incorporation dans un réseau de connaissances pour en sortir avec un avis objectif fondé sur des faits avérés, traités par une analyse logique.
Toutefois, l’immunité n’est pas un rejet absolu de l’autre ou une négation de toute altérité mais une maturité permettant à l’individu de ne pas perdre son « soi » dans cette altérité, afin de préserver son identité et de là, l’identité de son peuple. En effet, tout individu étant doté d’une identité propre et faisant partie intégrante d’un peuple lui-même doté d’une identité propre constitué d’un conglomérat d’identités individuelles ; la perte des identités propres aux individus conduira inéluctablement à la perte de l’identité du peuple, et l’identité commune étant une condition sine qua non à la genèse de toute nation, la perte de ce substratum étouffera toute chance de faire naître une nation indépendante. C’est pourquoi, a fortiori dans un contexte de domination idéologique posant les bases d’une domination économique puis justifiée par celle-ci, il est crucial de disposer d’un système immunitaire capable de recevoir l’information et de l’analyser puis de décider de l’intégrer ou de la rejeter sans jamais se rendre imperméable aux vues différentes pour au final être capable de construire une pensée à la fois ouverte sur le monde et constructive pour le peuple et la nation.