Humanisme et Médecine – Interview avec le docteur Yassine Abdeldjebbar

Nabil GUERBOUKHA

Yassine Abdeldjebbar est un médecin algérien très actif dans le monde associatif et dans le travail bénévole, connu pour ses différentes actions humanitaires aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, notamment au Myanmar (Birmanie). Le Dr Abdeldjebbar fait beaucoup parler de lui dans les médias et les réseaux sociaux par le bien qu’il fait autour de lui ; il sut allier pratique médicale et travail humanitaire dans les régions les plus isolées et les plus nécessiteuses. Il est désormais un parfait exemple pour la jeunesse algérienne et pour n’importe quel être humain voulant faire du bien. Et c’est avec une grande joie et beaucoup de modestie qu’il nous offre de son temps précieux pour nous faire voyager avec lui et partager avec nous ses différentes expériences.

Pour commencer, parlez-nous docteur, de vous et de votre parcours de formation.

Yassine Abdeldjebbar, jeune médecin, travaillant dans un hôpital public et ayant rejoint dès le début de ma carrière l’extrême sud algérien, In Guezzam plus exactement. Fils de l’Oranie, j’ai toujours essayé de mettre mes services au profit des plus démunis depuis mon très jeune âge, ce qui m’a valu une expérience riche dans le domaine caritatif mais pas que, puisque je suis membre d’un grand nombre d’organisations, associations et collectifs d’ordres culturel, médical ou même environnemental, à savoir : médecins sans frontières, Collectif HAMEB, Green Humanity France Algérie, AAMICO… etc.

Aujourd’hui, je m’engage à promouvoir l’esprit positif dans le milieu juvénile, et je vise à inspirer les jeunes qui voudraient à leur tour devenir activistes, par le partage de mon expérience et ma passion pour l’entraide et la solidarité à travers différentes actions humanitaires, des conférences et workshops, mais également des passages à la télévision, à la radio et sur les réseaux sociaux.

Comment vous est venue l’idée de vous consacrer au travail humanitaire ?

L’idée du travail humanitaire existait depuis mon jeune âge. J’éprouvais, en étant enfant, une envie mais surtout un besoin d’aider autrui. Je ne me suis jamais imaginé passer mon chemin devant quelqu’un qui a besoin de moi sans lui tendre la main. Je rêvais de faire médecine pour aider ceux qui souffrent car je souffrais avec eux. C’est cela qui est, à mon avis, l’humanité avant tout ; se mettre à la place du malade et compatir à sa peine, ensuite faire tout son possible pour la soulager.

Si je fais tout ceci aujourd’hui, c’est aussi grâce à mes parents. Ils m’encourageaient à faire médecine pour aider les gens nécessiteux et démunis avant tout.

Vous avez passé deux ans à In Guezzam. Parlez-nous un peu de cette expérience.

Mon expérience au sud du pays était l’une des plus enrichissantes. Exceptionnelle par ce qu’elle m’a apporté aussi bien sur le plan personnel que professionnel.

J’y ai appris le sens de l’adaptation aux conditions les plus rudes et aux situations les plus difficiles en soignant des patients souffrant de différentes pathologies avec le peu de moyens qui existaient. Vous savez que In Guezzam est une région de notre grand désert proche des frontières, isolée et très difficile à vivre. Le manque de médecins spécialistes et de professionnels de la santé rend la tâche encore plus difficile. Cette expérience m’a vraiment rendu reconnaissant surtout pour tout ce que la vie m’a offert et ce qu’elle a à m’offrir.

Après le travail dans les régions isolées à l’intérieur du pays, vous êtes sorti des frontières répondant aux besoins des gens dans différents coins du monde. Comment s’est faite cette transition ?

Avant même de travailler au sud, j’ai commencé le travail de volontariat dans ma ville Oran. Je partais au secours des gens pauvres et des sans-abris. Je sautais sur tous les travaux associatifs de charité qui se faisaient pour faire des consultations.

J’ai beaucoup gagné par cette expérience en terme de relations humaines et j’ai compris que le travail humanitaire peut se faire partout et que les nécessiteux sont plus près de nous que ce qu’on pourrait croire.

J’ai eu la chance aussi durant ma période de formation d’assister à plusieurs conférences médicales internationales. Ça m’a permis d’apprendre beaucoup sur les plans scientifique et médical mais aussi bénéficier des expériences des autres acteurs sur le terrain et faiseurs de bien un peu partout dans le monde, avec qui j’ai tissé des liens d’amitié et de travail par la suite.

Toutes les expériences et conférences que j’ai accumulées m’ont accordé la chance d’être à la page sur ce qui se passe dans le monde surtout en termes de populations dans le besoin ou dans des situations désastreuses. Cela ne pouvait que me motiver à aller au-delà des frontières pour ces gens-là.

Pourquoi la Birmanie ? Parlez-nous de votre expérience là-bas.

Aller en Birmanie était une idée qui trottait dans mon esprit pendant quelques années déjà. En voyant des vidéos sur le net, je me sentais concerné pour passer à l’action. Je me demandais sans cesse : est-ce humain de laisser Hommes, nos semblables, souffrir dans une situation de guerre si atroce ?

Il faut dire que j’avais toujours eu envie de faire une action humanitaire internationale, c’était alors pour moi une occasion à ne pas rater. J’ai commencé ainsi à penser à la manière d’y aller.

Le risque était bien présent, mais Dieu merci, j’ai eu assez de courage pour faire le premier pas. Après avoir eu le visa pour le Bangladesh, pays voisin de la Birmanie, sous motif touristique, l’aventure commença.

C’était pendant le mois de Ramadhan. Après avoir rejoint un bon nombre d’activistes et d’associations de bienfaisance, nous avons traversé la frontière vers le plus grand refuge comptant environs 1 million de personnes afin d’apporter notre aide, qu’elle soit médicale ou alimentaire. Nous faisions entre 100 et 200 consultations par jour pour les enfants dans des conditions très difficiles. Il n’y avait pas que les enfants, tout le monde ou presque avait besoin d’un suivi médical, mais le manque d’effectif a fait qu’on a pu prendre en charge que les cas graves.

Ce qui m’a marqué, c’étaient les conditions désastreuses dans lesquelles vivaient ces personnes dans ce refuge. Ils survivent dans des conditions sanitaires catastrophiques.

Des visages pâles, tristes, assombris par le malheur que la vie leur inflige mais s’éclairant magiquement à l’arrivé des aides humanitaires venant à leur rescousse. On pouvait voir dans leurs yeux l’espoir qu’ils avaient à chaque fois qu’une personne leur tendait la main. Ils étaient tous là, chacun d’eux cachait dans sa mémoire des histoires à en pleurer, ils étaient traumatisés par la perte de leurs proches et par tout ce qu’ils ont vécu jusque-là. Ce sont des victimes de génocide.

L’esprit religieux dans ce refuge était fort présent. Les gens faisaient leurs prières à temps et parfois une très belle ambiance régnait et des éclats de rire retentissaient entre eux. Ce qui n’a pas manqué de me surprendre et me pousser à poser la question : comment faites-vous pour rester heureux dans de telles conditions ? Ils me répondaient : notre destinée dans ce bas-monde est déjà écrite et finira dans ce refuge mais on a la conviction qu’on aura ce qu’on mérite dans l’au-delà.

Un conseil pour les médecins ou les futurs docteurs qui veulent se lancer dans le travail humanitaire ?

Le travail humanitaire ne vous procure pas que la satisfaction morale, c’est aussi un excellent moyen d’apprendre la médecine sur le terrain, alors n’hésitez jamais à vous engager pour les autres mais aussi pour vous.