Hommage – La Médecine au Temps du Corona
M’hamed BELBOUAB
00h00 : Minuit, Ayoub est réveillé encore une fois. Un autre patient qui a du mal à respirer.
Il inspire un grand coup, jette un regard mort à sa bavette, la même depuis deux jours.
Il marche dans le couloir, titube, il doit bien rester une dernière paire de gants quelque part mince !
C’est sa deuxième garde cette semaine, il ouvre la porte du box, hésite, prie une dernière fois, et referme la porte derrière lui.
8h : Hamid sort de chez lui. Il n’a pas vu ses enfants depuis plusieurs semaines. Ils sont avec leur mère, chez les grands-parents. Sa femme a dû arrêter de travailler. La nourrice ne veut plus les garder, trop risqué. Il leur a parlé hier au téléphone, un énième « bonne nuit », beaucoup trop fade. Il a arrêté de fumer, trop risqué. Il fait le tour des quelques pharmacies ouvertes. Un de ses amis pharmaciens lui a promis des masques et du gel, il attend toujours. Il passe quelques minutes devant le service, hésite, puis rentre, lui aussi.
15h : Asma est en combinaison depuis 9h, elle a une envie folle d’aller aux toilettes mais elle ne peut pas. Elle aurait bien aimé déjeuner aussi, mais impossible, cette tenue de protection, sa survie ne tient qu’à elle.
Pas plus tard qu’hier, une de ses amies avait choppé le virus. Toute la famille et tout le service retiennent leur souffle. Le temps s’arrête. Elle a peur. Elle ne peut pas se le permettre. Elle s’isole pour pleurer un peu.
19h : Redouane se retourne dans son lit. Il y a quelques jours son chef de
service est mort. Il est en isolement. Il se souvient encore de son premier jour ici. Il sourit. Il a horreur des regards qu’on lui jette, il a horreur de la pitié qui l’entoure. Il étouffe. Il a peur. Il regarde encore une fois son téléphone. Encore plus de victimes aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? Il jette son assiette de soupe, froide, contre le mur et retourne dormir.
6h : Mehdi sort prendre l’air, il a passé la nuit au chevet d’un patient en réanimation. Il n’a pas survécu. Dans quelques heures la famille viendra réclamer le corps. Ils devront attendre. Il se demande qui pourrait-il contacter à cette heure-ci.
Et puis, qu’est-ce qu’il pourrait bien dire ? Il a encore l’odeur forte de la vielle dans le nez.
« Les médecins ne sont pas seulement nos héros, ce sont nos martyrs »
Ils n’ont pas besoin qu’on les applaudisse, ils n’ont pas besoin qu’on leur fasse des promesses. Ils ont besoin d’aide.
Nos pensées vont à nos amis Arslan ALLOUACHE et Rihab FELLAH, les héros de ce magazine, à tous nos confrères morts durant l’épidémie, à tous ceux qui risquent encore de mourir, à ceux qui manquent de moyens, à ceux qui souffrent, à ceux que l’on a oubliés hier, et que l’on oubliera encore demain.