Parallèles Infectieux

Adel HAMANA

L’histoire retiendra que durant son ère la plus prospère économiquement, où les avancées technologiques font écho au progrès civilisationnel, l’Homme du 21ème siècle dans toute sa grandeur d’apparat aura fait face à une menace qu’il pensait révolue, du moins réservée aux populations les plus démunies, privées des avantages procurés par l’industrialisation et les techniques de pointe.
Sa surprise n’a eu d’égal que son incompréhension et surtout son mépris vis-à-vis d’un mal qui surgit tout droit d’un passé trouble, qui ébranla l’équilibre précaire sur lequel repose la géopolitique mondiale mais par-dessus tout menaça la santé d’une humanité qui n’a jamais été aussi nombreuse à fouler terre.
Cette menace nommée Pandémie de Covid-19, la première pandémie depuis plus d’un siècle, après la disparition soudaine de la grippe espagnole à l’été 1919, a de quoi faire peur.

En effet, l’histoire nous a appris que ces pandémies en progressant de contrée en contrée, frappent les territoires densément peuplés. Hélas, la population humaine n’a jamais été aussi élevée, culminant à près de 8 milliards d’hommes et de femmes répartis sur un territoire qui n’a néanmoins pas augmenté en superficie.
Il en résulte une agglutination humaine beaucoup plus accrue dans les grandes métropoles qui suivent un accroissement démographique forcené et constant. Ce n’est surement pas dû au hasard que des pays comme les Etats-Unis (troisième pays le plus peuplé) doté d’une multitude de mégalopoles, le Brésil (cinquième sur la liste) et l’Union Européenne, un bloc de 28 pays dont la superficie est moitié moindre que celle des Etats-Unis, occupent le podium des pays les plus touchés, car la distanciation sociale de rigueur pour éviter une propagation du virus y est très difficile à respecter.

Ce n’est pas non plus un hasard que ces mêmes pays qui prônent l’ultra capitalisme et l’accroissement du PIB (Produit Intérieur Brut), qui se soucient plus des chiffres du chômage que de l’état de propagation de la menace sanitaire et de la santé de leurs habitants, en pâtissent avec un nombre de décès anormalement élevé, bon pour figurer comme tête de proue des mauvais élèves en gestion de crise sanitaire.
En revanche, parmi les bons élèves se trouve Taiwan dont les mesures de traçage des individus potentiellement infectés se sont avérées efficaces, ou plus étonnamment encore le Vietnam qui ne compte que 24 décès parmi sa large population de 97 millions d’habitants (chiffres du 17/08/2020) grâce à ses mesures de confinement extrêmes et très précoces, entre autres l’État indien du Kerala y figure aussi, en raison d’une conduite politique sociale et des investissements dans le système de santé publique.
Toutes ces entités géographiques ont en commun une considération de la nature humaine au-delà de sa capacité productive.
Une pandémie, un événement d’une improbabilité telle que l’Administrateur de la Santé publique des US William H. Stewart avait assuré en 1969 que les maladies infectieuses ne représentaient aucune menace et qu’elles appartenaient désormais à l’histoire. Propos confirmés par le lauréat du prix Nobel de médecine MacFarlane Burnet dans la dernière édition du classique « Histoire naturelle des maladies infectieuses».
Ainsi, devant de telles affirmations tenues par des sommités du domaine médical, sans oublier les progrès monumentaux réalisés dans ce même domaine avec le développement successif des vaccins, antibiotiques, puis celui de l’imagerie médicale avec le scanner et l’IRM – des découvertes qui ont rallongé l’espérance de vie jusqu’à 80 ans dans de nombreux pays – en résulte un mépris envers ce danger infectieux qui, plus d’une fois, a menacé l’existence du genre humain. Un mépris qui a permis l’extension d’une «petite grippe», comme qualifiée par Jair Bolsonaro, président du Brésil, en une pandémie qui aurait été bien plus sévère et meurtrière sans les découvertes et innovations majeures du siècle passé.

En effet, ces innovations, qui sont désormais ancrées dans notre vie courante, n’existaient pas du temps de la dernière pandémie en date, celle de la grippe espagnole de 1918 à 1919.
Au vu de toutes les difficultés que rencontre aujourd’hui le brave personnel médical lors de l’exercice de ses fonctions durant cette crise sanitaire, l’on ne peut qu’imaginer la difficulté qu’ont rencontrée les médecins et infirmières auparavant, pour soigner des patients atteints d’une souche virale beaucoup plus létale que celle du coronavirus, sans disposer des moyens de base d’aujourd’hui pour proposer un traitement.
A ce propos, Victor Vaughn, Doyen de l’Université de Michigan, déclara que cette souche mortelle démontra l’infériorité de l’intervention humaine et surtout la destruction de la vie, des propos qui provoquent l’effroi mais qui ne font que peindre une terrible réalité subie 100 ans auparavant.
Le comble de l’ironie fut que cette pandémie s’est répandue à une date charnière de l’histoire, 1918 marquait la fin de la première guerre mondiale, premier conflit généralisé de l’histoire qui embrasa l’Europe puis le monde entier.
Cette guerre inhérente à la propagation rapide du virus était anthropophage plus que toute autre, et lors de l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917, le transfert massif de troupes à travers l’Atlantique pour rejoindre les armées de l’entente a créé un pont de propagation vers le vieux continent.
Simultanément, dès janvier 1918, les premières traces de ce virus furent détectées dans une région rurale du Kansas en plein centre des Etats-Unis, de là, il a ensuite contaminé un grand nombre de soldats cantonnés dans leurs camps d’entrainement où la surpopulation et les mauvaises conditions d’hygiène ont facilité la propagation de cette grippe.
Néanmoins, en dépit de la contamination avancée de nombreux régiments et de l’explosion du nombre de malades à l’hôpital militaire de Camp Devens, rien n’arrête la guerre, pas même l’épidémie la plus meurtrière de l’histoire moderne.
Cette imprudence que l’on peut imputer aux événements de la période a facilité la diffusion de l’agent infectieux qui, après avoir pris pied en Europe, s’est avéré encore plus anthropophage que la guerre elle-même.

L’impact de cette grippe a été dévastateur pour les pays qui l’ont subie de plein fouet, car en s’ajoutant à la perte d’une dizaine de millions de soldats sur les champs de batailles, la grippe espagnole s’attaquait de préférence aux sujets âgés entre 20 et 40 ans, des sujets qui habituellement étaient immunisés par la robustesse de leur système immunitaire.
L’un des chiffres les plus surprenants et horrifiants de cette pandémie est qu’elle a abaissé l’espérance de vie des américains de 12 ans lors de sa période de prévalence maximale. A titre d’illustration, l’épidémie d’opioïdes qui a fait plus de 400 000 victimes aux US entre 1999 et 2017 a abaissé l’espérance de vie de 0,1 année.
Néanmoins, de cette pandémie de grippe espagnole tout n’est pas à jeter. Elle a permis une amélioration de la capacité biologique de reproduction due à l’amélioration du système immunitaire par l’acquisition d’une immunité contre une souche létale suite à la mort regrettable des individus les plus fragiles, elle a surtout favorisé l’essor de la science et stimulé le développement de nombreuses branches de la médecine telles que la virologie et immunologie.
En comparaison avec la récente pandémie de coronavirus, les différences sont frappantes. Le plus évoquant est le nombre de morts qui plafonne à 100 millions de morts avec des estimations allant de 50 à 100 millions
pour la première, tandis que la pandémie actuelle en compte 800.000, soit 400 fois moins. Une autre différence plus subtile toutefois est la tranche d’âge la plus touchée ; lors de la pandémie antérieure les personnes dans la fleur de l’âge étaient le plus souvent victimes, or la pandémie de Covid-19 provoque surtout la mort de personnes âgées. L’impact de cette dernière sur la démographie sera sensiblement plus faible.

Finalement face à l’inconnu qu’est l’après Covid-19 une question se pose. Cette catastrophe sera-t-elle le coup de fouet tant attendu pour permettre de réinventer un monde en manque de renouveau comme ce fut le cas après la grippe espagnole un siècle auparavant ? Nous rappelons que cette crise sanitaire a constitué les prémisses qui ont abouti à l’âge d’or des inventions scientifiques s’étendant de la fin de la seconde guerre mondiale aux débuts
des années soixante-dix. La fiction se dérobait à la réalité d’un monde en constante évolution, qui permit le développement entre autres d’ordinateurs, Internet, de voyages spatiaux ou plus impressionnant
encore l’éradication de la variole.
Hélas nous ne vivons aujourd’hui que sur des reliquats perfectionnés issus de cette folie innovatrice d’antan, les recherches scientifiques bien plus poussives ne sont motivées que par des gains financiers et les voitures volantes promises à l’aube du nouveau millénaire ne furent que chimères.
L’Homme du 21ème siècle a-t-il perdu son génie créateur ? En effet, après avoir échoué à élaborer pendant plus de trente ans un vaccin contre le
Sida, il propose le même antidote contre le coronavirus que celui proposé contre la grippe espagnole: l’espérance de jours meilleurs.
Enfin, cette catastrophe qui met en évidence l’extrême faiblesse du genre humain permettra-t-elle l’apaisement des violences séculaires raciales qui déchirent un monde toujours plus policé, où la guerre laisse place à la coopération ?
Une certitude, cette pandémie marque un tournant de notre histoire, faut-il qu’elle prenne le bon.