Le Doute Cartésien Ou Comment Fonder la Connaissance ?
Héritage Intellectuel de Feu Kouider BESSAKRA
« Je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu’il fallait […] que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fut entièrement indubitable. » Ainsi disait Descartes dans son magistrale oeuvre ‘‘Discours de la méthode’’.
Sur la base de ce doute épistémologique comme acte fondateur, Descartes tente de fonder sa théorie de la connaissance. Ce doute, dont il est question, exige de faire table rase ‘‘tabula rasa’’ de toutes nos connaissances acquises antérieurement, ou du moins de les soumettre à de sévères examens.
Comme les conditions ne nous le permettent pas et sans entrer dans les dédales des profonds débats entre aristotéliciens et platoniciens (sur le corps et l’esprit), qui d’ailleurs sont des débats assez riches et intéressants, donc non de moindre importance concernant cette problématique de la connaissance ; contentons-nous pour le moment, de cette conception de l’aristotélisme qui postule que le domaine du sensible est le domaine propre par excellence de la connaissance et sa condition nécessaire même, bien qu’elle ne soit pas à elle seule suffisante, de sorte que sans sensation, il n’y a pas de connaissance. Comme il va de soi aussi qu’il ne s’agisse pas de sentir pour élaborer une connaissance, sachant que l’animal lui aussi possède cette faculté. Il est question donc et surtout par la suite, d’une autre faculté, celle d’organiser et structurer cette dite sensation afin de mieux l’exploiter et la fructifier. Une faculté qu’il faut obligatoirement et indispensablement dépasser ou transgresser moyennant, une faculté d’abstraction, comme capacité de penser abstraitement, une faculté de plus qui nous distingue de l’animal, celle qui nous permettra de nous éloigner loin d’elle en tant que pure sensation, tout en lui restant néanmoins liés.
Ceci dit, nos sensations, qui nous permettent d’être en contact avec le monde extérieur, sont certes nécessaires pour l’acquisition de plus amples informations, utiles pour une meilleure connaissance de celui-ci même si parfois nous sommes obligés de les prolonger par des instruments plus efficaces en cas de fines expériences. Mais pouvons-nous être en mesure de contester leur fiabilité par essence, nous dit Descartes ? Ne peuvent-elles pas nous induire en erreur ? Vu nos expériences quotidiennes multiples, pouvons-nous nous fier à la vue, au toucher, à l’ouïe, à l’odorat, et au goût, au risque qu’ils puissent nous tromper… ? Et s’il en était ainsi, le monde ne serait-il pas réduit à nos sens ?!
« A part le monde matériel, dont je peux m’assurer de son existence de par mes sensations à travers desquelles il se manifeste, y a-t-il un autre monde, un monde de l’esprit qui est responsable de mon imagination et de ma faculté comme capacité d’organiser mes sensation et les mémoriser, entre autre, et qui fait que je suis conscient de son existence La faculté d’imaginer qui est en moi, poursuit Descartes dans ses méditations métaphysiques, et de laquelle je vois par expérience que je me sers lorsque je m’applique à la considération des choses matérielles, est capable de me persuader leur existence : car quand je considère attentivement ce que c’est que l’imagination, je trouve qu’elle n’est autre chose qu’une certaine application de la faculté qui connaît, au corps qui lui est intimement présent, et partant qui existe. »
L’illusion des sens comme ceux de l’esprit existent aussi. Une statue, un jouet, une poupée, peut donner lieu à une illusion de vie ; une peinture, un décor, peut donner lieu à du relief. N’est-ce pas là que de fausses apparences aussi ? De même les opinions fausses, les croyances erronées, les chimères, les leurres, les utopies qui, souvent, abusent l’esprit par leur caractère séduisant, sont bien des illusions de l’esprit. De par ces diverses et multiples expériences, on ne s’étonne plus qu’on soit souvent victime d’une illusion, c’est fort bien une preuve tangible, sinon établie, qui ne fait que consolider notre doute.
« Tout ce que j’ai reçu jusqu’à présent pour le plus vrai et assuré, nous dit Descartes dans ses méditations métaphysiques, je l’ai appris des sens, ou par les sens. Or, j’ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés. »
Finalement et en fin de compte, Descartes arrive à cette certitude inébranlable et obstinée : « si on peut douter, ou du moins ne jamais être certain, de nos sens, de notre imagination, de nos pensées, de nos rêves, de nos jugements, de nos préjugés… y a-t-il quelque chose dont on peut être certain ? Une chose est bien certaine, je suis certain que je doute quand je suis en train de douter ! » C’est bien là le sens du crédo ‘‘je pense donc je suis’’, le ‘‘cogito ergo sum’’.
« Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose ; et remarquant que cette vérité, je pense donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables d’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »