Civilisation des Arabes – Gustave Le Bon

Reda Mohammed DJEBBOUR

La Civilisation arabe a toujours suscité l’intérêt aussi bien des arabes que celui des occidentaux. L’Orient a connu plusieurs Empires à travers des conquêtes et des guerres permanentes tous azimuts, ce qui a fait étendre ses frontières en marée. Le monde arabe demeurait imparfaitement connu en occident jusqu’au 18e siècle et spécialement en France, tel qu’expliqué par Gustave Le Bon dans son ouvrage.
Comme indiqué par le titre, cet ouvrage ne fait pas que traiter ou réciter l’histoire des empires arabes ; leurs victoires ou leurs défaites, il étudie également leur apport dans le domaine de la science que ce soit en médecine ou en astrologie, et celui de l’art comme la musique ou la littérature, en plus de l’étude anthropologique qu’il en fait : « On constate bientôt que le Moyen âge ne connut l’antiquité classique que par les Arabes ; que pendant cinq cents ans, les universités de l’Occident vécurent exclusivement de leurs livres, et qu’au triple point de vue matériel, intellectuel et moral, ce sont eux qui ont civilisé l’Europe ».
La religion a représenté une grande partie de son travail, en décrivant la vie des arabes leurs moeurs et la société avant et après l’Islam ou comme il disait « avant Mohammed » et « après Mohammed ».


D’abord, à propos de la structure et du contenu général de l’ouvrage, celui-ci est formé de 6 livres dont chacun traite d’une partie du puzzle qui assemble en son sein géographie, histoire, culture, société, armée jusqu’à la formation des civilisations. Nous allons essayer de mettre en évidence certains passages jugés importants et à même de donner un aperçu représentatif de l’ensemble du sujet, et ceci en deux parties. Les lignes suivantes sont tirées exclusivement des écrits de Gustave Le Bon et ne reflètent en rien l’avis de l’auteur de cet article.


Chapitre Ier – Le milieu


L’Arabie fut le berceau de l’Islam. Elle formait le centre des empires musulmans, de la Mecque au temps de Mohammed (QSSSL), à Baghdâd la capitale des abbassides. Elle formait le centre de la civilisation arabe, qui s’étend de l’Inde aux bords des plages de l’atlantique, traversant la méditerranée passant par le désert de l’Afrique intérieure, jusqu’en Espagne.

« Sur trois côtés, c’est-à-dire à l’ouest, à l’est et au sud, les limites de l’Arabie sont formées par les mers que nous venons de nommer. Au nord, ses frontières sont mal définies. Elles s’étendent à peu près dans la direction d’une ligne qui irait de Gaza, ville de Palestine située sur les bords de la Méditerranée, jusqu’au sud de la mer Morte, puis de la mer Morte à Damas, et enfin de Damas jusqu’à l’Euphrate, qu’elle suit ensuite jusqu’au golfe Persique ».

Sur le plan géologique, presque la moitié de la superficie est déserte, habitée par des nomades, et entrecoupée de vallées et de montagnes où se logent des villes et villages agricoles.

La partie centrale s’appelle Nadjad (une des régions de l’Arabie saoudite). C’est un haut plateau rocheux, entouré au nord par le désert « el noufoud » et le désert « el Dahna » à l’est et au sud le désert du quart vide et à l’ouest par les montagnes de « sarat » à l’hajaz qu’elles séparent de la mer rouge.

On note aussi la rareté des grands cours d’eau, les rivières sont souvent sèches toute l’année et ne se remplissent que quand la pluie les comble à la saison des pluies, comme « ouadi al Rumina » qui fait 1300km de long.

Depuis les temps historiques les plus anciens, l’Arabie est connue pour son aridité, sa sécheresse et sa température qui ne baisse jamais au-dessous de 43°C, ce qui provoque la destruction des forêts. Lorsque la pluie manque, un autre facteur dévastateur s’ajoute : le simoun, qui est un vent chaud, sec et violent. Ces deux paramètres étaient les deux pires dangers qui bouleversaient la vie des nomades et les caravanes.


Les provinces d’Arabie 

En 1762 Neibheur fut le premier historien occidental à tracer une carte de L’Arabie, celle-ci était méconnue au demeurant des géographes arabes. Neibheur divise l’Arabie en trois régions alors que les arabes la devisaient en deux.

  • L’Arabie pétrée, au nord-ouest : s’étend de la Palestine à la mer rouge.
  • L’Arabie heureuse, au sud-ouest : intéressant la partie méridionale de la péninsule.
  • L’Arabie déserte, au centre et à l’est : s’étend depuis les confins de la Syrie et de la Mésopotamie jusqu’à l’Euphrate et le golfe Persique.

A titre informatif, l’Arabie pétrée ne fait pas partie de l’Arabie pour les géographes orientaux, les seules régions qui comptent pour eux sont Al Hidjaz qui comprend les villes saintes comme la Mecque et Medina, et au sud-ouest El Yémen, ainsi que Oman.

L’Arabie pétrée correspond à la région la plus célèbre de l’histoire, c’est le berceau de l’histoire des religions et des oeuvres saintes avant l’islam. C’est également la région où se trouvent la montagne sacrée de Moïse, et toutes les tribus dont la bible et les textes hébreux nous ont fait le récit : de Louis Segond bible exode 24 :18 : « Moïse entra au milieu de la nuée, et il monta sur la montagne. Moïse demeura sur la montagne quarante jours et quarante nuits ». On y trouve aussi les ruines de Petra qui formaient l’entrepôt du commerce de l’Arabie méridionale.

La Mecque est ce type de sites situé en plein désert, qu’on ne rencontre qu’en Arabie. Le sol qui l’entoure est si pauvre qu’il ne pourrait suffire à l’entretien des habitants. Ceux-ci sont obligés de faire venir leurs provisions de Djedda, ville située sur la mer Rouge, qui représente le port de la Mecque.

En fait, la Mecque doit sa célébrité à « al Kaaba ». Elle se trouve au centre de la ville et représente le lieu de pèlerinage des musulmans, ce qui en a fait un centre de commerce immense à chaque année.

« Le petit temple de la Kaaba se trouve dans la cour même de la grande mosquée de la Mecque. C’est un cube de pierre grise, ayant, suivant Burckhart, 40 pieds de hauteur, 18 pas de longueur et 14 de largeur. Elle n’a d’autre ouverture qu’une petite porte placée à 7 pieds du sol, à laquelle on ne peut arriver que par un escalier mobile, qu’on n’applique que pendant la période des pèlerinages. Son intérieur est une salle pavée de marbre, éclairée par des lampes d’or massif, et recouverte d’inscriptions. »



La production des arabes 

Les arabes produisaient principalement le dattier et le caféier ainsi que d’autres produits spéciaux tels que l’encens, la casse, le séné et le baume de la Mecque. Ainsi, ils cultivaient des plantes trouvées en Europe mais la nécessité de les arroser tous les jours a fait que la pratique ne soit pas répandue.

On trouve aussi une multitude d’espèces animales : l’âne, le boeuf, la brebis, la chèvre… etc. Mais les plus importants étaient le cheval et le chameau. Sans le chameau l’arabe ne pouvait pas survivre, car il représentait l’élément principal de ses activités commerciales. Jusqu’aujourd’hui, les arabes sont toujours attachés à la coutume d’élever des chameaux, notamment par l’organisation de concours du meilleur chameau, comme pratiqué autrefois par les anglais avec les chevaux. Aussi, le cheval possède une place colossale chez les arabes, qui tracent des arbres généalogiques pour chaque cheval issu d’une race noble ou d’un croisement de races nobles, avec un processus complexe de suivi lors de sa naissance :

« Quant au cheval arabe, sa réputation est universelle. Parmi les meilleures descriptions : fort, nerveux, léger, fier de son indépendance, le cheval arabe, errant en liberté dans les pâturages, offre le type de l’élégance dans les formes, de la perfection dans les qualités. Sa tête sèche et menue, sa prunelle ardente, ses naseaux bien ouverts, son garrot relevé, ses flancs pleins et courts, sa croupe un peu longue, sa queue se projetant en arrière, ses jambes fines et nerveuses, lui donnent sur tous ses rivaux la palme de la beauté, comme sa docilité, son courage, sa frugalité, sa vitesse lui assurent l’avantage sur nos races d’Europe les plus estimées. Les Bédouins comptent cinq races nobles de chevaux descendus, d’après leurs traditions, des cinq juments favorites montées par leur prophète. ہ la naissance d’un poulain de noble race, on réunit sous la tente un certain nombre de témoins, qui rédigent par écrit le signalement du nouveau rejeton, ainsi que le nom et la descendance de sa mère. Cet arbre généalogique, dûment confirmé par l’apposition des cachets et signatures, est renfermé dans un petit sachet de cuir et suspendu au cou du cheval. Dès lors il prend rang parmi ces coursiers précieux, dont la possession enviée a plus d’une fois occasionné la guerre entre deux tribus ». Les Bédouins comptent cinq races nobles de chevaux descendus, d’après leurs traditions, des cinq juments favorites montées par leur prophète. ہ la naissance d’un poulain de noble race, on réunit sous la tente un certain nombre de témoins, qui rédigent par écrit le signalement du nouveau rejeton, ainsi que le nom et la descendance de sa mère. Cet arbre généalogique, dûment confirmé par l’apposition des cachets et signatures, est renfermé dans un petit sachet de cuir et suspendu au cou du cheval. Dès lors il prend rang parmi ces coursiers précieux, dont la possession enviée a plus d’une fois occasionné la guerre entre deux tribus ».


Chapitre II – La race

Tout d’abord, avant d’entamer le sujet de race il serait utile de définir quelques notions pour mieux comprendre le chemin emprunté dans son explication et son discours sur la race arabe.
En anthropologie, « la race » et « le peuple » ne sont pas des synonymes. Par définition, une race est brièvement un groupe d’individus qui possède un groupe de caractères communs qui se transmet régulièrement par hérédité. Or, un peuple est une agglomération d’individus gouvernée par le même gouvernement, pouvant appartenir à différentes races, ayant les mêmes intérêts, la même langue et partageant ou non la même religion.
Cependant, ceci ne forme une race que si le milieu, l’hérédité et les croisements fixent quelques caractères physiques et moraux.

On parle souvent de l’influence du milieu alors que l’hérédité est bien plus puissante que ce premier. Durant l’histoire, on voit bien son influence et que les caractères sont bien fixés tel que les fils d’Israël ont gardé leur type invariable. De cette façon, le milieu ne peut guère influencer une race que si elle est nouvelle, c’est-à- dire une race issue de croisements. Mais pour que ce processus soit efficace, il faut qu’il soit répété pendant longtemps et sous la condition de « l’égalité » entre les deux races croisées ; si une race est plus abondante que l’autre, on doit s’attendre à la disparition des caractères de l’autre race.

On entend toujours parler, dans l’anthropologie moderne, des caractères physiques ou anatomiques en négligeant souvent les caractères moraux et intellectuels. Lorsqu’on suit le développement d’une race durant les âges, « on est étonné de voir avec quelle constance ses aptitudes morales et intellectuelles se perpétuent », bien que ces caractères psychologiques puissent être modifiés par, comme il a été cité ci-dessus, le milieu physique, moral et le croisement : « Un Romain du temps d’Héliogabale n’avait plus le caractère de ses ancêtres de la république, et l’habitant des Etats-Unis diffère déjà beaucoup, par le caractère, des Anglais dont il est issu… ». Ainsi, apparait toute l’importance de l’étude de la psychologie des peuples, car elle aide à comprendre les aptitudes, les causes de la grandeur des empires et de leur décadence, et dans notre sujet l’ascension et le déclin des arabes.


Origine des arabes

On admet que l’origine des arabes est sémitique, ce terme regroupe les : arabes, hébreux, phéniciens, syriens, babyloniens, assyriens qui occupent encore l’Arabie et l’Asie mineur jusqu’à l’Euphrate, « ce qui explique la ressemblance frappante entre l’arabe et le juif ». Il est aussi remarquable de constater l’immense diversité chez les arabes en terme de race. Il n’existe évidemment pas de race pure à 100%, la plus pure est partiellement mélangée, ceci est dû principalement à l’ouverture des arabes au croisement. Il est considéré que la plus pure et celle de « Kahtan » l’une des trois races à l’origine des arabes, à côté d’une autre qui a disparu avant l’avenue de l’Islam et une troisième qui descendrait d’Ismail. Au sujet de l’élément « noir », il doit son épanouissement à l’islam, d’après les versets du coran et les « Hadith » de Mohammed (QSSSL) qui ont toujours prôné l’égalité entre les êtres humains où la seule différence entre le noir et le blanc, entre l’arabe et le non-arabe et entre les hommes est la piété.
Les occidentaux ont été frappés par la dissémination de la couleur noire chez les orientaux alors qu’en occident les noirs restent toujours esclaves : « Rotta cite une région du Yémen où la population est devenue presque noire, alors que dans les montagnes, la même population, peu mélangée, est restée blanche ».

Au sujet de la famille d’un des cheikh de la contrée, il est dit que parmi ses enfants « il y en avait de toutes les teintes, depuis le noir jusqu’au blanc, suivant la race de leurs mères. » Palgrave raconte que Katif, ville importante du Nedjed, était à l’époque de son voyage gouvernée par un noir : « J’ai vu, à Riadh, dit-il, plusieurs fils de mulâtres qui portaient fièrement l’épée à poignée d’argent, et comptaient parmi leurs serviteurs des Arabes de sang ismaélite ou kahtanite le plus pur. »

Donc la seule division fondamentale des arabes est leur division en deux, selon leur mode de vie et leur tradition : arabe sédentaire et arabe nomade. De plus, on peut distinguer les arabes, se basant sur leur lieu d’habitation : l’arabe d’Arabie, l’arabe de la Syrie et l’arabe de l’Afrique et de la chine.

Les arabes nomades par rapport aux arabes sédentaires sont une race beaucoup plus pure, du fait de l’absence de déplacements et de fréquentation des autres races, ce qui leur forgea l’esprit d’indépendance ;

« Ce sentiment de l’indépendance remonte aux premiers temps de leur histoire. Diodore de Sicile assure que chez les Nabathéens, nomades de l’Arabie Pétrée, il était défendu de planter du blé, des arbres à fruits, et de bâtir des maisons. Ils considéraient, en effet, que pour garder de tels biens, on sacrifie volontiers sa liberté. Aussi ne furent-ils jamais conquis. Hérodote observe qu’alors que la Phénicie et la Palestine étaient obligées d’envoyer de lourds tributs aux rois de Perse, les seuls Arabes en étaient exempts. »

De l’autre côté, Palgrave décrit les arabes sédentaires comme « la plus noble race de la terre ». Comme dans chaque grande province il existe de nettes différences entre les habitants. En citant en exemple les Wahhabites qui, selon Le Bon, sont « moins généreux, moins prompts à embrasser les entreprises difficiles, moins gais et moins francs que les autres Arabes, sont aussi plus persévérants et plus sages : ils manifestent rarement par des paroles leurs sentiments secrets ; mais ils sont fermes dans leurs desseins… ».


Suite et fin

Suite à ce court exposé sur l’oeuvre de Gustave Le Bon, il semble naturel que celui qui s’intéresse au sujet de la civilisation des arabes, trouvera plus d’affinité et d’intérêt dans une étude plus orientée vers la politique, la
culture, et les moeurs des arabes plutôt qu’aux données géographiques. C’est pourquoi, nous essaierons dans les prochains numéros de présenter les travaux de l’auteur qui touchent les éléments cités ci-contre.

Gustave LE BON