Les Prolégomènes – المُقدِّمة – Ibn Khaldoun (Partie 1/3)

Nazih Mohamed Zakari KOUIDRAT

La Moqaddima ou les prolégomènes est l’œuvre majeure d’Ibn Khaldoun réalisée au VIIIème siècle de l’Hégire (XIV de l’ère chrétienne), grâce à laquelle il a lui été attribué l’invention d’une nouvelle science, avec des divergences subsistant autour de la nature de la discipline. Fut-il Théologien ? Historien ? Sociologue ? Philosophe de l’Histoire ? La complexité de son œuvre est telle que toutes les branches des sciences humaines peuvent prétendre représenter la science qu’il a théorisée grâce à une pensée qui a transcendé son époque et sa géographie, pour s’édifier comme un véritable patrimoine scientifique et culturel de l’humanité. Néanmoins, les interprétations et les exégèses sont tellement nombreuses et conflictuelles que, tel un livre saint, il fut utilisé pour justifier des idées contradictoires, à la fois l’humanisme et le racisme, la révolution et la colonisation, l’idéalisme et l’empirisme. Cet humble recueil sommaire de la pensée d’Ibn Khaldoun, sera divisé en trois parties : La première (le présent article) est une introduction à ses principales idées, la deuxième retracera différentes interprétations de sa science et la dernière tâchera d’essayer d’extraire des enseignements susceptibles d’éclairer notre présent. Ce modeste travail ne souffre d’aucune prétention visant à le « classer » dans telle ou telle discipline, au contraire, il s’agit d’une exposition de différentes lectures pour essayer de comprendre d’abord sa pensée ensuite certaines réalités sociales que nous peinons toujours à pénétrer.  

Biographie

Walî ad Dîn Abou Zaïd Abd er Rahmân Ibn Mouhammed Ibn Khaldoun est né à Tunis le 1er Ramadhan 732 de l’Hégire (1332 de l’ère chrétienne). Sa famille, issue de Hadramout (Arabie du Sud), occupa sous les Dynasties Omeyyades et Almohades en Espagne de hauts rangs politiques et militaires. Sa formation intellectuelle fut très polyvalente. Il a étudié entre autres le Coran, les sciences religieuses, la jurisprudence, le droit, la philosophie, les sciences naturelles et la poésie, d’abord à Tunis (جامع الزيتونة) puis au Maghreb (Maroc actuel), auprès de nombreux professeurs émigrés d’Andalousie. A 20 ans, il fut nommé secrétaire du Sultan à Tunis, puis celui de Fès. En ces temps-là, le contexte politique de l’Afrique du Nord était tellement instable, du fait des guerres permanentes entre les Sultans, qu’il fallait à chaque fois réussir à être dans le bon camp si l’on tenait à sa tête, un contexte électrique qui lui a couté deux ans de sa vie en prison. Les conflits devenant très fréquents, il se rendit à Grenade où il fut accueilli avec éclat pour occuper un poste encore plus élevé que celui de Fès.

De Bougie à Tlemcen, passant par Biskra, le Caire et Damas, Ibn Khaldoun occupa non seulement de hauts postes politiques mais aussi militaires (condottiere) et religieux (prédicateur de la grande Mosquée de Bougie), jusqu’à sa mort 25 Ramadhan 808 de l’Hégire (1406) à l’âge de soixante-quatorze ans.

Ce bref tracé de son parcours est d’une importance fondamentale car il nous apprend que notre homme de pensée fut aussi homme d’action, soucieux d’expliquer la crise civilisationnelle arabo-musulmane, qu’il suivait aux premières loges, et de dégager les causes de l’édification et de la décadence des Empires (Dynasties). Il ne cherchait pas à construire une cité idéale comme Platon ou Al Farabi, mais a voulu comprendre et étudier la Cité imparfaite mais réelle, comme en témoigne Yves Lacoste : « Le chercheur de ce milieu du XXème siècle trouve chez cet historien du XIVème siècle un homme animé des mêmes préoccupations, un compagnon de travail, et souvent un Maître. » Ereinté par les tensions permanentes de son époque, il décide de s’enfermer dans la forteresse de Beni Slama à proximité de Tawghzout, aux environs de Frenda (Algérie actuelle), pour penser « la condition sociale de l’homme », et composer la Moqaddima et une partie de l’Histoire des Berbères. D’ailleurs, son intérêt intellectuel qui est passé de la politique vers la politologie et l’Histoire, lui aurait fait écrire « De tous les hommes, les savants s’entendent le moins à l’administration politique et à ses procédés ». Ce qui ne laisse pas de nous rappeler les conclusions de Max Weber des siècles plus tard.

Sur l’œuvre

Ibn Khaldoun présente son œuvre comme suit : « C’est, en somme, un commentaire sur la civilisation et la fondation des cités, de façon à expliquer au lecteur comment et pourquoi les choses sont ce qu’elles sont, à lui montrer comment les bâtisseurs d’empires ont fait leur apparition sur la scène de l’histoire ». Les Prolégomènes sont en réalité une très volumineuse préface (une Moqaddima) de son œuvre globale : « كتاب العبر وديوان المبتدأ والخبر في أيام العرب و العجم و البربر », traduite généralement par Histoire Universelle. L’Histoire universelle, en plus de la Moqaddima, est constituée de six autres ouvrages dont les plus importants concernent l’Histoire des Berbères.

Il s’agit d’une œuvre très riche, développant des concepts politiques, économiques, géographiques, militaires et même d’urbanisme. Ibn Khaldoun y réunit une théorie de la connaissance, une classification rationnelle des sciences, une étude du prophétisme et des arts ainsi que des éléments de sciences mathématiques, de chimie et même de médecine ! C’est une œuvre colossale quand on réalise que c’est le fruit du travail d’un seul homme. Même s’il est actuellement possible de nuancer la pertinence de certaines idées, ce travail immense dénote d’une culture encyclopédique et d’un esprit tout à fait exceptionnel.

Elle fut traduite la première fois par les Turcs qui lui ont donné une dimension intercontinentale, mais ce n’est que quatre siècles après la mort d’Ibn Khaldoun qu’elle fut abondamment étudiée. Selon Abdelghani Megherbi, chercheur algérien, c’est la copie de Fès qui servit à la plupart des exemplaires se trouvant à Berlin, Munich, Leningrad, Florence, Oxford, Paris, Milan, etc. Elle fut traduite en quatre langues : le Turc, le français, l’anglais et le portugais.

Yves Lacoste notifie cependant que contrairement à la Moqaddima, l’Histoire des Berbères et les autres parties de son œuvre ont été commandées par des souverains, donc elles respectent la forme classique de son époque. C’est pourquoi, nous allons nous baser essentiellement sur les Prolégomènes qui contiennent toutes les innovations khaldouniennes.

L’anatomie de la Moqaddima est divisée en 6 chapitres :

– Chapitre 1er : le Oumran Bachari (العُمران البشري) : il traite de la conception khaldounienne de l’Homme. L’Homme est naturellement social, ce qui implique une organisation collective pour gérer les besoins communs qui aboutira forcément à la création d’un pouvoir ou gouvernement, qui peut contraindre les hommes à respecter l’ordre établi pour protéger les biens de tout un chacun.

– Chapitre 2 : le Oumran Badawi (العُمران البدوي) : il caractérise l’Homme en état de dépendance de la nature, réduit à ses besoins organiques. C’est une étude de la Badiya sur les plans géographique, économique et sociologique, à travers son concept de Açabiyya, pour analyser la vie rurale qu’il considère comme à l’origine de tous les Empires.

– Chapitre 3 : la genèse des Dynasties (Règnes/Etats) : il s’agit d’une sociologie politique qui décrypte les conditions de formation des Empires où Ibn Khaldoun développe le concept de pouvoir « الملك ».

– Chapitre 4 : le Oumran Hadhari (العُمران الحضري) : il correspond à l’équivalent du 2ème chapitre mais cette fois-ci, il traite de la vie urbaine, l’Homme et ses besoins évoluent car il ne dépend plus alors de la nature.

– Chapitre 5 : les activités de production humaine (économie) : il étudie l’évolution des moyens de production dans le cadre d’une économie politique ou d’une sociologie économique.

– Chapitre 6 : la finalité ou la synthèse de la civilisation : c’est un bilan des productions intellectuelles (sciences, art, éducation) et du savoir humain, accompagné d’une théorie de la connaissance. Il correspond à la forme la plus accomplie du Oumran Hadhari.

La cohérence anatomique de son œuvre, support de la cohésion physiologique de sa science, est telle que chaque idée constitue la conclusion de celle qui la précède et la prémisse de celle qui la suit. Bien que la nature de la nouvelle science d’Ibn Khaldoun fait toujours l’objet de débats, sa discipline peut se définir par trois éléments selon les critères de son époque : (1) un objet particulier (le Oumran ou société et civilisation) ; (2) des problèmes à résoudre (les faits qui s’attachent à l’essence même de la société) ; (3) un objectif à atteindre (strictement scientifique : la vérification des renseignements).

Contexte Historique : La Crise du XIVème Siècle

Entre les XIème et XIIème siècles la civilisation maghrébine a connu son apogée au temps des empires Almoravides et Almohades, puis la décadence s’est installée progressivement à cause d’un certain nombre de facteurs que l’auteur des Prolégomènes a tenté d’élucider. La structure politique de la région était organisée en dynasties qui formaient une sorte de confédération de tribus sous la direction d’une tribu dominante, qui se faisait incessamment disputer le pouvoir. Trois Dynasties occupaient l’Afrique du Nord : les Mérinides (Maroc actuel), les Abdelwadides (Algérie actuelle) et les Hafçides (Tunisie actuelle) et chacune essayait de reconstituer le Grand Maghreb (l’Afrique du Nord et l’Andalousie). A chaque fois qu’une tribu prenait le pouvoir, elle le perdait aussitôt, les règnes qu’il décrivait sont ponctués par des soulèvements ou des « putschs » continuels, qui édifient des règnes éphémères, sans arriver à fonder des Empires.

Le déclin avait touché toutes les strates de la civilisation où les sciences traditionnelles (Tafsir, Hadith, Jurisprudence) ont vu l’Ijtihad (effort de réflexion) considérablement reculer. Quant à la philosophie et aux sciences rationnelles, ils ont stagné voire régressé.

Ce contexte trouble, explique aussi certains passages où Ibn Khaldoun loue de puissants dynastes unitaristes, dans l’espérance de rétablir la stabilité de la région et de réunifier le Grand-Maghreb pour relancer la civilisation arabo-musulmane menacée par l’éveil de l’Europe qui se préparait déjà à prendre le flambeau civilisationnel.

Le Oumran « العُمران »

Au XIVème siècle, la science ne connaissait pas véritablement la notion de loi, elle s’occupait de la recherche de l’essence propre des choses et les caractéristiques qui composent leur nature (طبائع). Les sciences naturelles étudiaient la nature, la science d’Ibn Khaldoun étudiait « طبائع العُمران » ou les phénomènes des civilisations. Selon Muhammad Abed Al-Jabiri, Ibn Khaldoun n’étudiait pas les lois gouvernant les phénomènes mais analysait ce qui se produit nécessairement. Il recherchait la ‘‘nécessité naturelle” qu’il constate au sein des choses et accepte sans démonstration, résultant du fait que toute chose referme en elle-même la source de sa transformation. Et « طبائع » ici sont primordiales, elles représentent des causes intrinsèques, des constantes, des axiomes valables en tout temps, par exemple : pas d’homme sans société, pas de société sans lois : « La société ne saurait exister sans un gouvernement (سياسة) qui puisse y maintenir l’ordre. »

Afin de saisir le concept khaldounien du Oumran, il faudrait d’abord esquisser sa conception de l’Homme. Pour l’auteur de la Moqaddima, l’Homme est nécessairement (بالطَّبع) sociable (vit avec autrui) et socialisé (influencé par la culture du milieu), en s’appuyant sur un Hadith du Prophète QSSSL : « Tous les hommes naissent dans l’état de fitra (virginité de l’esprit). S’ils deviennent juifs, chrétiens, adorateurs du feu (zoroastriens), c’est le fait de leurs père et mère ». Il considère par ailleurs l’Homme comme le centre du monde, une unité entre corps et esprit. Le corps faisant partie du monde matériel, subit son influence, pareillement, l’esprit faisant partie du monde spirituel ou immatériel, subit son influence. Ce n’est pas tout à fait une innovation khaldounienne mais ce qu’il y a d’innovant est sa tentative de transposer cette vision sur tous les secteurs de la société : l’interaction entre naturel (organique) et spirituel (culturel) se réalise dans la communion des hommes en société dans le but d’assurer leurs besoins matériels ou organiques ainsi que leurs besoins spirituels (culture et connaissances). Sa conception de l’Homme est la base du Oumran, qui a connu plusieurs traductions : civilisation, culture… etc. Nous pouvons englober ses significations par une totalité réunissant toutes les structures politique, sociale et économique d’une société, autrement dit, l’ensemble des phénomènes humains.

D’après Ibn Khaldoun, cette « totalité » se divise en deux types : la civilisation bédouine (Oumran badawi) qui désigne la vie nomade au niveau des montagnes et du désert ou plus largement toute la vie rurale ; et la civilisation sédentaire (Oumran hadhari) ou la vie urbaine au niveau des villes et des cités.

Le mobile fondamental étant le besoin, les hommes font société pour diviser les efforts et s’entraider à assurer leur subsistance, d’abord pour se procurer l’organique, l’indispensable et l’immédiat (Oumran badawi), ensuite pour satisfaire des besoins superflus quand leurs conditions s’améliorent (Oumran hadhari). De cette comparaison entre les deux modes de vie rural et urbain (citadin), est né un principe fondamental selon lequel la Badawa serait à l’origine des Empires : « Les Bédouins sont […] à l’origine des cités et de la vie sédentaire […]. Dès que (le Bédouin) possède assez pour se préparer au superflu, il mène une vie agréable et se soumet au joug de la cité. C’est le cas de toutes les tribus bédouines. » Il s’agit d’une transformation inconsciente et objective de l’Homme qui se déroule naturellement et nécessairement (بالطَّبع) chez tous les groupes humains.

Notons toutefois que cette distinction n’est pas binaire, les nomades ne sont pas tous de purs nomades, pareil pour les sédentaires : il existe des semi-nomades ou transhumants et les paysans dont la sédentarité n’est que relative. Nous n’allons pas nous y attarder du fait de leur faible rôle politique.

Pour achever l’esquisse de l’Homme Khaldounien, nous citons la contradiction intrinsèque qu’il héberge : l’Homme est sociable de nature et possède en même temps une sorte de volonté de puissance ou d’autodéification (تَأَلُّه) susceptible d’entamer sa sociabilité. Pour dépasser cette contradiction, l’Homme possède une tendance naturelle (بالطَّبع), à ériger une autorité extérieure, un arbitre qui exerce une certaine pression pour contraindre tous les hommes à la respecter, afin de réguler leurs interactions et satisfaire leurs besoins particuliers et ceux du groupe. La pérennité et la stabilité du groupe en dépendent, de même que la sociabilité de l’Homme. Cette autorité peut être soit symbolique (la figure du Cheikh) ou effective (la contrainte d’un dirigeant incarnant les lois), et elle est toujours déterminée par les conditions sociales et les moyens de subsistance.

Néanmoins, il serait opportun d’introduire succinctement une réserve importante inhérente à la recherche des « طبائع ». L’Historien pourrait se trouver dans une situation inconfortable lorsqu’il devra choisir entre soit : d’abord de s’assurer que le fait soit exact pour le soumettre aux « طبائع » ou de n’accepter les faits, donc les déclarer exacts, que s’ils sont conformes aux « طبائع »…

Enfin, le cheminement de la pensée Khaldounienne aboutit à la conclusion que la nature humaine tend nécessairement à une organisation supérieure, à un gouvernement, à l’édification d’un Etat. Le cheminement inverse permet de théoriser l’essence même de l’« Etat » qui représente un double système de production, matérielle (subsistance) et immatérielle (intellectuelle et esthétique) ayant pour but d’assurer la sécurité des hommes (intérieure et extérieure par la défense et la diplomatie) et leur prospérité (الرِّعاية) économique pour subvenir, d’abord à leurs besoins organiques, condition nécessaire pour se consacrer à la quête du savoir à travers l’éducation qui développe et nourrit les besoins spirituels ou immatériels des hommes, afin d’atteindre l’essor culturel et civilisationnel. Mohamed Habib al-Marzouki rajoute que le socle de sécurité et de prospérité fourni par l’Etat, doit admettre comme finalité de former des hommes moins dépendants de la nature et de l’Etat, en les formant à produire leurs propres moyens de sécurité et de production. C’est pourquoi, l’Etat exerce le droit de contraindre (pour la protection) et le devoir de former (prospérité, éducation).

Un autre résultat du Oumran Khaldoudnien, soutient que la politique ou la fondation des Etats lato sensu, devient alors une nécessité sociale, car, comme le notifie al-Marzouki, l’Etat fait le lit de la hadahra (vie urbaine) pour assurer la prospérité grâce à l’intérêt des hommes pour l’économie, aboutissant ainsi à la finalité civilisationnelle de l’Homme : les sciences et la connaissance. Le conditionnement réciproque (المشروطيّة) entre la ville (الحضارة) et l’Etat, rajoute al-Marzouki, est lié non pas à l’unicité religieuse mais à l’essence de l’Etat, tirée des nécessités ayant imposé son édification : assurer la protection et la prospérité (الرِّعاية و الحِماية) .Par conséquent, afin de maintenir la cohésion sociale, il faudrait un contrat tacite rationnel ou religieux pour lier la ville et l’Etat. Il s’agirait de la loi fondatrice de tous les états, anciens ou nouveaux, qui est de nature contractuelle (rationnelle ou religieuse), variablement adaptée selon les époques. Notons au passage les similarités avec le contrat social d’après Hobbes et Rousseau.

Cependant, l’influence coranique sur la théorie révolutionnaire d’Ibn Khaldoun devient patente lorsqu’il transpose la finalité de l’Etat à la réalisation des finalités supérieures de la Sharia (تحقيق مقاصد الشريعة) : la religion, la personne, la raison, la filiation et les biens (حفظ الدين، حفظ النفس، حفظ العقل، حفظ النسل (العرض)، حفظ المال). D’ailleurs, al-Marzouki considère que les finalités supérieures de la Sharia représentent les droits naturels de tout homme et leur défense contre toute oppression est le devoir de tous. Subséquemment, la science du Oumran permet de comprendre l’état social de l’homme pour identifier ses besoins et défendre ses libertés.

La Açabiyya « العصبيّة »

Tel qu’évoqué plus haut, la Badawa est à l’origine de la Hadhara. Comment s’opère alors cette transformation qualitative ? Pour y répondre, Ibn Khaldoun a introduit le concept de Açabiyya, souvent traduit par « esprit de clan » ou « esprit de corps », qui représente le nœud du passage du Oumran badawi vers le Oumran hadhari. En effet, pour qu’une tribu établisse et conserve son règne, elle doit posséder des caractéristiques sociopolitiques, la Açabiyya en l’occurrence, qui ne peuvent se développer que dans le Oumran badawi : « La monarchie, la souveraineté est le but de l’esprit de clan (Açabiyya) […] L’essence de la souveraineté, c’est de protéger les sujets ». La souveraineté (la gouvernance ou l’Etat) est l’aspiration naturelle des Hommes et la Açabiyya en est l’outil.

Qu’est-ce que la Açabiyya ? La vie dans la badawa est très pénible et ardue, surtout pour les nomades. Ils sont contraints de se déplacer au gré du climat pour trouver de l’eau et des pâturages, pouvant parcourir de très grandes distances sans même être sûrs du résultat. Ils vivent au jour le jour, totalement dépendants de leur milieu, prix à payer pour rester libres car ils ne sont soumis à aucune puissance extérieure vu que ce sont des tribus militaires dont tous les membres sont armés. Leur existence est une lutte continuelle contre la nature pour assurer leurs besoins élémentaires et immédiats, et quand la nature menace leur existence ils ont parfois recours aux attaques contre les sédentaires : « Ils sont toujours armés. Ils surveillent tous les accès des routes. Ils ne somnolent un bref moment que quand ils sont ensemble, ou en selle. Ils font attention au moindre aboi, au moindre bruit… L’intrépidité est devenue un trait de leur caractère et le courage, leur nature ». Une existence aussi précaire ne peut engendrer que des gens au caractère sanguin et farouche, Ibn Khaldoun disait qu’ils : « sont tout ce qu’il y a de plus sauvage ». Le résultat en est la naissance d’un « esprit de clan », un « esprit de corps », une cohésion sociale extrêmement forte pour assurer la survie du groupe, nommée : la Açabiyya.

Le second élément, propre au Maghreb, qui consolide cette solidarité sociale est d’ordre biologique et psychologique. En sociologie, ce qu’on appelle un clan, ce sont des individus qui s’identifient à un ancêtre unique (un totem) et la règle de l’exogamie, c’est-à-dire le mariage des membres en dehors de leur groupe d’origine. En revanche, Megherbi nous précise que la caractéristique essentielle de la badawa maghrébine, est l’endogamie ou le mariage dans le même groupe. Les tribus sont une sorte de groupes de cousins « introvertis » et leurs relations sont consanguines bilatérales (du côté de la mère et du père). La puissance du lien familial qui en découle, conjuguée à la fierté d’appartenir à un ancêtre commun (réel ou mythique), finissent de cimenter la cohésion sociale et définissent le premier moment de la Açabiyya qui est à la fois biologique, psychologique et géographique : « Açabiyya nassab » (cohésion par lignage). La Açabiyya est en fait indispensable pour la survie de la tribu tant sur les plans matériels (guerres, biens) que symboliques (fierté et vanité généalogiques).

Dans ces conditions, il ne peut y avoir de vie en dehors du groupe, chaque membre s’identifie à lui, tout ce qui affecte le sujet, affecte le groupe et inversement. En réalité, le pire châtiment que puisse subir un individu est l’exclusion, car aucune vie n’est possible hors de la tribu. L’individualité ne peut s’affirmer, les hommes ne sont pas différenciés entre eux par leurs prénoms mais par leurs ancêtres, « fils d’un tel ».

Quant à la propriété privée, il existe deux lectures majoritairement répondues. La première ayant pour origine l’extrapolation des conclusions des sociologues occidentaux sur les tribus arabes, prétend que la propriété privée n’existait pas. La seconde, inférée de la littérature arabe affirme qu’elle était bel et bien prévue et que les mœurs arabes de magnanimité et de générosité lui conféraient son caractère solidaire. Quoiqu’il en soit, dans les deux cas l’économie était centrée sur le groupe, la collectivité et la spécialisation du travail était rudimentaire.

Par ailleurs, la gestion de la tribu obéit à des structures égalitaires, démocratiques et patriarcales. Elle comprend un chef symbolique, librement élu mais aux pouvoirs limités, ayant une autorité de droit et non de fait. Il est généralement âgé, respecté mais non craint, car son rôle est de conseiller sans posséder le pouvoir de contraindre les membres à lui obéir. Les décisions des affaires communes de la tribu et des guerres se prennent en groupe par le conseil de la tribu (شيوخ القبيلة), dont les membres doivent se distinguer par leur ancienneté, sagesse, éthique et éloquence.

Il serait judicieux de remarquer que cette « Açabiyya nassab » ressemble à la Açabiyya préislamique en Arabie, condamnée par le Coran puisqu’elle renferme en elle les germes du racisme en fermant les tribus sur elles-mêmes, tant le lien biologique entrave le lien social et spirituel avec autrui, ce qui contrarie l’édification de la Oumma. D’ailleurs, Ibn Khaldoun semble avoir tiré ce terme, de connotation péjorative a priori, d’un Hadith du Prophète QSSSL : « Est-ce Açabiyya d’aimer son peuple ? Non. Mais c’est Açabiyya d’aider son peuple dans des actions injustes ».

Néanmoins, la « Açabiyya nassab » n’intéresse pas tellement Ibn Khaldoun, il l’a prise uniquement comme point départ, car les structures tribales égalitaires, que nous avons survolées, ne peuvent conduire à l’édification d’une Dynastie ou d’un Empire. Pour que la Açabiyya devienne réellement une force politique, il faudrait qu’une hiérarchisation s’installe, une « رياسة » (une autorité de fait, non de droit), au détriment de l’égalitarisme tribal pour garantir l’émergence d’un chef, appuyé par sa famille, ayant une autorité non contestée, pour contraindre les membres de sa tribu à le suivre pour dominer les autres tribus. En d’autres termes, il ne s’agit non pas d’acquérir un pouvoir symbolique par « convention », mais de devenir souverain, c’est-à-dire en termes wébériens, exercer un pouvoir légal (le droit de contraindre physiquement). La Açabiyya comme force politique motrice apparait donc comme l’opposé de la Açabiyya nassab, puisque celle-ci étant incapable de fonder un Empire du fait que les membres vivent au jour le jour, dans l’immédiat sans possibilité d’exploitation ou de contrainte car il n’y a pas de surplus.

Mais comment ce chef arrive-t-il à se détacher des structures égalitaires et asseoir son autorité pour devenir un souverain ?

a) La Açabiyya comme force politique

Les conditions de souveraineté ou d’acquisition du pouvoir (رياسة) et du prestige sont, selon la lecture d’Al-Jabiri, d’abord sociopolitiques ensuite économiques. Elles commencent par la parenté et le lignage, les bonnes mœurs, l’honneur, le courage, la bravoure et surtout les preuves de dévouement au groupe. Pour devenir un souverain, il est nécessaire de cumuler des marques de puissance et de domination qui apparaissent surtout en se distinguant pendant les guerres, pour pouvoir contourner la règle de la mise en commun des butins et obtenir des parts privilégiées. La solidarité entre les membres égaux de la tribu est remplacée par l’allégeance des sujets à leur nouveau chef. Il y a lieu de relever que, chez Ibn Khaldoun, au regard de la nature de l’organisation égalitaire et communautaire des tribus, ce n’est pas l’argent qui amène le Pouvoir, au contraire le Pouvoir précède puis attire l’argent. Ensuite, le cycle vertueux de la puissance s’enclenche quand pouvoir et argent se nourrissent mutuellement, ce qui rend le futur souverain de plus en plus écouté et de moins en moins contesté. Il peut également accumuler des profits grâce au commerce, car il est impossible de prospérer sans posséder le pouvoir de protéger sa marchandise. De cette manière, les différenciations s’accentuent entre les tribus et au sein de chacune d’entre elles de sorte que la fortune du futur Souverain lui obtient l’appui de sa famille, des clients et des soldats, libres en principe, qui deviennent implicitement ses vassaux. Fort de ce soutien, il multiplie les opérations militaires pour étendre son pouvoir, de manière à ce que sa Açabiyya particulière, domine celle des autres et les enrôle dans une Açabiyya générale en partageant une partie de ses privilèges : « Lorsqu’un esprit de clan donné a affermi sa domination sur son peuple, il cherchera, naturellement, à dominer les autres clans distincts du sien. S’il les vaut, les uns les autres s’équilibrent. Dans ce cas, chaque clan est maître chez soi… Cependant, si l’un de ces clans surpasse l’autre et le domine, les deux esprits de clan s’interpénètrent et le vaincu accroît la force du vainqueur, lequel dresse encore plus haut son objectif de domination et de supériorité. Et ainsi de suite jusqu’à ce que le pouvoir du clan triomphant égale celui de la dynastie régnante. »

La Açabiyya aboutit à la constitution d’une sorte d’aristocratie de fait, au sein d’une communauté tribale égalitaire. Cette aristocratie est composée du chef et de sa famille, des familles nobles, ayant à leur solde une puissante force militaire. Le chef domine sa propre tribu et celle-ci, grâce à sa Açabiyya supérieure, domine les autres tribus et les garde sous sa protection : « La souveraineté n’appartient pas à chaque esprit de corps, mais appartient en vérité à celui qui asservit les sujets, lève les impôts, dépêche les troupes et protège les accès, et qui n’a au-dessus de lui aucune force pour le contraindre ».

La Açabiyya dans ce cas passe du rôle social au rôle politique au cours de l’édification de la Dynastie. Tout au long de son parcours, le futur Souverain doit maintenir l’équilibre entre la Açabiyya qui lui garantit la cohésion sociale (au moins en apparence) et le soutien politique et militaire d’un côté, et de l’autre, les rapports de vassalité implicites qu’il entretient avec les siens pour accroître sa richesse et sa puissance. Il continuera d’accumuler richesse et puissance, dans l’attente du moment propice pour attaquer la capitale et fonder sa propre Dynastie, qui subira le même sort que la précédente après le déclin de sa propre Açabiyya : « L’empire a beau s’appuyer sur le dévouement de ses partisans ; les peuples qu’il tient en soumission ont aussi un esprit de corps et chaque peuple se croit assez fort pour rester indépendant. »

Le pouvoir, tel que théorisé par Ibn Khaldoun, admet pour origine non l’oppression d’un autocrate ou d’un théocrate, mais un contrat tacite, non écrit liant un chef de tribu et les siens qui le portent pour dominer les autres tribus et faire tomber la Dynastie régnante. A titre illustratif, nous pouvons citer l’exemple des Omeyyades qui ont été détrônés par les Abbassides grâce à leur Açabiyya. Quant au Maghreb, la Açabiyya des Sanhadja (les Almoravides) a été dominée par celle des Masmouda (les Almohades).

En outre, Ibn Khaldoun a identifié le facteur spirituel ou idéologique comme celui pouvant décupler la puissance de la Açabiyya, notamment la religion. Ceci est particulièrement important dans la badawa étant donné que leur mode de vie les dispense de ressentir le besoin des autres tribus, chose qui pourrait gâter les tentatives d’union sous la fédération d’une seule Dynastie. Il fallait donc un puissant catalyseur pour unir les individus entre eux sans les séparer des autres et élever leurs perspectives sociale et civilisationnelle. En un mot, la religion devait les détribaliser en fécondant la Açabiyya pour unir les individus autour du même étendard. La base de ce lien, d’après Al-Jabiri, serait la promotion de la vertu et la prévention du mal (الأمر بالمعروف و النهي عن المنكر) ,c’est-à-dire un bouleversement des rapports traditionnels qui ne peut se produire sans la fondation d’une Dynastie.

Par contre, s’agissant des semi-nomades ou des habitants des petits villages, Ibn Khaldoun affirme que la religion n’est pas nécessaire chez eux pour adoucir l’hostilité envers les autres, car ils sont déjà attachés à la terre et entretiennent des rapports d’intérêt économique et social, ce qui atténue l’impétuosité de la Açabiyya.

Notons qu’au sujet de la religion, il n’est à aucun moment question de fonder une théocratie ou de réserver le pouvoir aux hommes religieux. Il s’agit de considérations purement politiques et pragmatiques.

Bien que la religion fût d’une extrême importance dans la naissance de la civilisation arabe, elle ne fut pas suffisante, car la réforme éthique, sociale et politique à laquelle elle aspirait ne pouvait se produire sans être portée par un puissant groupe politique soudé par une forte Açabiyya : « l’appel religieux ne peut réussir sans Açabiyya ». D’ailleurs Ibn khladoun raillait les réformateurs religieux qui appelaient aux bonnes mœurs en négligeant la politique et la Açabiyya. Il s’opposait aux esprits pusillanimes qui attendaient la figure du sauveur, du héros (المهدي), pour rétablir la justice et améliorer leurs conditions d’existence. Il déplorait profondément cet immobilisme puisqu’il savait pertinemment que la réalité était impitoyable et ne pouvait être changée en se contentant d’appels récurrents à la raison, aux bonnes mœurs à la bienveillance spontanée des individus. Ibn Khaldoun ne s’occupait que de la réalité concrète et non pas de ce qui devait être. Pour cette raison, il appelait constamment à s’armer de savoir et de force politique afin de réussir à identifier et à comprendre les causes profondes et objectives qui gouvernent la marche du Oumran.

b) Déclin de la Açabiyya

Nous avons vu que la Dynastie était constituée d’une tribu gouvernante, dominant une confédération de tribus. Une fois qu’une nouvelle Dynastie a établi son empire grâce à la Açabiyya, la construction du Oumran hadhari (la ville), phénomène naturel (بالطَّبع) comme nous l’avons vu, fait entrer la Açabiyya de la tribu au pouvoir en crise.

Sur le plan politique, dans sa quête de fondation d’une monarchie, le Souverain doit compromettre les liens de Açabiyya et de solidarité tribale sur lesquels il a fondé son pouvoir. Et pour cause, les personnages importants de la tribu le considèrent non seulement comme l’un des leurs mais qu’il leur doit ce pouvoir, et ne peuvent donc pas se plier docilement à toutes ses volontés et réclament constamment plus d’avantages.

Dans le dessein de diminuer l’influence des nobles de sa famille, il les éloigne, dans un premier lieu, de la capitale en les nommant gouverneurs de provinces mais ces derniers en profitent pour s’entourer de commerçants et d’alliés propres jusqu’à devenir de puissants prétendants au trône. Dans un second lieu, le Souverain recrute des clients, des mercenaires et des esclaves en dehors de la tribu qui ne sont pas nobles et ne sauraient donc lui disputer le pouvoir. Il privilégie les clients sur les liens de sang.

Néanmoins, ces nouvelles figures coutent très cher et le Souverain se trouve d’abord contraint de leur céder des terres puis d’augmenter illégalement les impôts sur la population.

Sur le plan social, la tribu gouvernante s’enrichit rapidement jusqu’à l’opulence mais le développement n’atteint pas tout à fait les autres tribus satellites, ce qui accentue les inégalités qui deviennent de plus en plus visibles. Dans la capitale, la Açabiyya se dégrade par le luxe, l’opulence et l’émergence d’intérêts contradictoires et antagonistes ; les individus perdent le sentiment de leur intérêt et avenir communs. La population vit dans la misère et le désespoir, et arrête de travailler car son pain est prélevé en impôts. Les révoltes éclatent, et le Souverain doit recruter des mercenaires ou des tribus nomades (armées nous le rappelons), qu’il faudra payer pour mater les révoltés… Il a aussi souvent recours à l’épouvantail du danger extérieur commun pour exciter vainement les reliquats de solidarité qu’il a déjà entamés. De plus, la tribu dirigeante étant éparpillée dans le royaume, les prétendants au trône attisent cette instabilité en refusant de payer l’impôt, tandis que d’autres tribus finissent par quitter leur terre et redevenir nomades.

Enfin, quand l’Etat n’est plus soutenu que par des mercenaires qui cherchent uniquement leur intérêt propre, une nouvelle tribu ascendante ayant une forte Açabiyya émerge et finit par sonner le glas de la Dynastie régnante. La nouvelle tribu subira toutefois le même sort que la précédente.

Conclusion

Ibn Khaldoun nous explique que les conditions de développement des Dynasties finissent par le mener à leur disparition après leur dénaturation par le Souverain dans son aspiration à la centralisation des pouvoirs. L’édification d’un « Etat » implique l’abolition des structures tribales qui ont participé à sa fondation. Yves Lacoste a identifié ici, une composante dialectique de la pensée khaldounienne qui expliquerait la fragilité des fondations sur lesquelles reposent les Dynasties de l’Afrique du Nord : « La Açabiyya est la structure socio-politique qui marque le passage de la société sans classe à la société de classe : l’aristocratie tribale n’a de pouvoir que dans la mesure où elle est encore intégrée dans les structures égalitaires. Plus les pouvoirs de cette aristocratie se reforment, plus elle apparaît comme une classe dont les intérêts sont en contradiction avec ceux des autres membres de la tribu et plus les structures tribales se disloquent ».

La lecture d’Ibn Khaldoun semble teintée de répétition ou de cyclicité de la Açabiyya (non de l’Histoire) qui apparaît comme un phénomène central pour la compréhension de l’instabilité politique de cette période en particulier et la marche du Oumran du monde musulman en général. Cependant, la constatation de cet éternel retour, comme le remarque subtilement Megherbi, est une vérité sociologique et non philosophique. En effet, il est très loin de soutenir la thèse d’une vision cyclique de l’Histoire, car le cycle qu’il décrit n’est pas le fruit d’une théorie ou d’une idéologie fataliste posée en amont, qu’il applique sur son milieu ; au contraire, il s’agit d’une cyclicité qu’il a constatée au sein de la réalité concrète qu’il étudie afin de dégager les causes profondes de cet état de fait, pour agir sur elles et restaurer la puissance civilisationnelle du monde musulman.


Références

كتاب العبر وديوان المبتدأ والخبر في أيام العرب و العجم و البربر – المقدمة – دار القيروان للنشر- (2006)

الثورة الخلدونية – أبو يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي

الخلدونية المحدثة – أبو يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي

سلسلة قانون يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي يف االنحطاط – أبو يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي

ابن خلدون، محیر المواجع ومثیر الفواجع – أبو يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي

ثورة الاسلام الثانية او في دلالة الاجتماع النظري الخلدوني – أبو يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي

غاية النكوص، مفهوم قرآني وانرثوبولوجي خلدوين – أبو يعرب (محمد الحبيب) المرزوقي

فكر ابن خلدون – العصبية والدولة – محمد عابد الجابري

التأزم السياسي عند العرب وسوسيولوجيا الإسلام – مكونات الحالة المزمنة – محمد جابر الانصاري

Ibn khaldoun, « Les Prolégomènes », traduction de Mac Guckin de Slane (1801-1878)

Abdelghani Megherbi, « La Pensée Sociologique d’Ibn Khaldoun »

Yves Lacoste, « Ibn Khaldoun. Naissance de l’Histoire du Tiers-Monde »

Articles

أين كتب ابن خلدون مقدمته؟ – ناصر الدين سعدوني

Abdesselam Cheddadi, « La Théorie de la Civilisation d’Ibn Khaldūn est-elle universalisable ? »

Gilbert Achcar, « La Sociologie du Pouvoir chez Ibn Khaldoun : une Lecture Wébérienne »