Héritage Intellectuel de Feu Kouider BESSAKRA -Conscience

Le terme conscience est assez ambigu dans les langues qui dérivent du latin, le Français en l’occurrence. Souvent, il n’a pas le même sens dans tous les cas de figure. Dans le cas « cette personne a perdu conscience », le mot conscience n’a pas le même sens que dans « cette personne n’a pas de conscience ». 

 Dans la première expression, il est question de ce qu’on appelle conscience psychologique, c’est-à-dire ce que M. Lalande définit comme la faculté d’avoir une connaissance intuitive d’un fait, voire « l’intuition qu’a l’esprit de ses états, ainsi que de ses actes ». Avoir conscience de quelque chose c’est pressentir, sentir, s’apercevoir, appréhender, juger… Avoir conscience c’est sentir qu’on sent (Goblot)… Toute conscience est conscience de quelque chose, dit Husserl ; ainsi perdre conscience c’est perdre cette faculté de saisir soit par l’esprit soit par le corps l’objet en question. 

 Quant à la seconde expression, c’est un pur jugement de valeur, il s’agit là de ce qu’on appelle la conscience morale, qui n’est pas témoin mais qui « juge »… « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais). Avoir une bonne conscience : état moral qu’on estime (parfois à tort) d’avoir bien agi et sans reproche. 

La conscience psychologique révèle ce qui est, la conscience morale ordonne ce qui doit ou devrait être. Dans la plupart des langues non latines, il y a deux mots différents pour désigner l’un ou l’autre. En anglais on a « consciousness » pour désigner la conscience psychologique et « conscience » pour désigner conscience morale, en allemand on a respectivement « bewusstsein » et « gewissen », en arabe respectivement « el wa’i الوعي » et « edhamir الضمير ».

 En réalité, les deux types de conscience ne sont pas sans relation, et si le problème de conscience morale se pose, il ne se pose qu’en termes de cas de conscience d’abord, conscience psychologique d’un cas. En clair, l’existence de la conscience psychologique est une condition absolument nécessaire de la conscience morale, bien qu’elle n’en est point suffisante. Il est aussi certain que la conscience psychologique nous ouvre la possibilité d’un choix entre une multitude d’actes possibles. Dans ces conditions donc, la conscience morale ne peut être qu’un ensemble d’exigences, des prescriptions que nous convenons valables pour orienter ce choix. 

A côté du monde des faits, il y a toujours un monde des valeurs ; si le monde des faits est universel, le monde des valeurs lui est relatif. Qu’est-ce donc qu’une valeur morale authentique ? Du moins acceptable par tous ? Il est certes plus facile (du moins il semble) d’énoncer une liste d’obligations morales, mais hélas moins aisé par contre de les justifier… « Il est plus facile de prêcher la morale que de la fonder » disait Schopenhauer. Et c’est justement le problème du fondement (ou du re-fondement) de la morale qu’il nous faut poser d’une façon urgente, maintenant en cette époque d’uniformisation du mode de vie, donc de mondialisation, tout en tenant compte des spécificités culturelles et des formations historiques des peuples et civilisations. Autrement dit, penser un système de valeures conforme et adéquat, afin de refonder une nouvelle éthique qui devienne impérative.