Continuer de Descendre

Continuer de descendre, il le faut.
Je ne sais pas pourquoi je fais cela, ni quand est-ce que cela a commencé, mais il le faut. Et puis, ce n’est pas comme si j’avais mieux à faire. Il faut perdre son temps, et autant que l’on peut. Pas que cela m’amuse, ou même me divertisse, mais au moins, ainsi, le temps fait moins mal. C’est plus doux, ça ne vous arrache pas la gueule, ça, ça ne vous fait pas réfléchir. J’en ai marre de réfléchir. Mais il faut que je continue de descendre, au milieu des clichés, des photos, encore et encore.

Je ne sais pas pourquoi je fais cela, ni même quand est-ce que cela a commencé. Et puis, je sais que tout est faux, que tout est artificiel, que ça ne veut rien dire, mais quand même, ça me donne envie tout cela. Tous ces paysages, tous ces jolis plats, et puis et surtout, toutes ces jolies femmes. Ça donne envie tout cela, alors on a forcément envie, et on se prend à rêver, et on continue de descendre. Encore, pourvu qu’il y en ait encore, pourvu que ça ne finisse pas, que le rêve ne s’arrête pas, par pitié, encore.

Mais ce soir c’est peut-être un peu la fin. Je crois que j’ai trouvé l’âme soeur. Oui, oui, pour de vrai. Une photo de mon film préféré, et puis quelques pages du dernier livre que j’ai lu. Ah, c’est elle. Et puis qu’elle est belle ! Ça ne s’invente pas cela, je le sais. Elle est belle, il le faut. C’est elle après tout, du moins sûrement, alors je continue de descendre. Plus bas, plus loin dans le temps. Je remonte le cours, le temps, sa vie, la mienne ; c’est elle, encore elle, un goût exquis pour la lecture, de l’esprit, de bonnes références, et puis, qu’est-ce qu’elle est drôle. Elle en a des amis aussi, tellement de gens qui lui disent de jolies choses. Il y a quelques hommes qui reviennent souvent, mais c’est plus en bas. Elle est seule maintenant, je le sais, après tout c’est elle. Elle, qui doit se sentir aussi seule que moi. Plus bas encore. Souvenirs d’été, elle voyage, quelques sourires, quelques bouts de peau sucrés, quelques couchés de soleil, rien d’aussi beau qu’elle, c’est elle, je le sais.


Il y a ce petit quelque chose dans ses yeux, qui fait qu’elle n’est pas comme les autres. On ne partage pas autant sa vie pour rien, il y a quelque chose derrière, elle n’est pas comme les autres, rien d’artificiel ici. Ça se voit dans ses yeux je vous dis, à vous faire chavirer le coeur, et tellement de coeurs, j’en suis sûr. Elle a dû connaître l’amour elle, en vacances et ailleurs, et la peine aussi, c’est dans ses grands yeux bleus, ça ne s’invente pas. Elle ne s’en cache pas, ni ça, ni grandchose; c’est pour que quelqu’un la remarque, elle doit en avoir besoin, de quelqu’un de bien, oui. Quelqu’un qui puisse la comprendre, assurément, et puis lui donner l’attention qu’elle recherche. Encore, et plus bas, lui faire de jolies photos. Bien sûr, voyager avec elle.
Evidemment, l’aimer sans hésiter.


Mais je ne peux pas faire ça, moi. Moi, il faudrait que j’arrête de descendre. Moi, il faudrait encore que je me lève, et que je fasse de jolies photos. Oh oui, elle aimera ça, et tant pis si ce n’est pas vrai, et puis ça ne l’est jamais vraiment. Il faudrait que je la fasse rêver aussi, qu’elle me trouve quelque chose dans le regard, que je lui plaise, que je sois drôle, oh oui surtout drôle, ça marche à tous les coups, être drôle. Il faudrait que je sois beau, que je sois grand, que je sois, que je sois, oui, encore faut-il que je sois. Il faudrait que je lui vende du rêve, et ça s’affiche les vendeurs de rêves. Ça ne se cache pas le rêve quand on en a à offrir, ça s’étale, c’est vendeur, ça attire, ça en attrape. Mais je ne peux pas faire ça moi.


Alors tant pis, il faudra que je continue de descendre, descendre pour oublier, me noyer, tout oublier. Descendre, et quitte à se souler de chats, et quitte à jamais en avoir d’aussi mignons, et de plats aussi beaux, et de plats aussi bons, et de femmes aussi belles, et puis rester ici à descendre, encore. Il le faut pour oublier, il le faut. On respire mieux quand on descend, et puis on rêve encore un peu. A quoi bon, je ne l’oublierai pas elle, je le sais. C’est elle, je le sais, c’est dans ses yeux je vous dis. A quoi bon, je ne peux pas m’empêcher de mettre des coeurs dessus, et puis une bague s’il le faut, et tout de suite même, je le sais. C’est décidé, je l’aime en photo. Je l’aime beaucoup, partout, il le faut, qu’elle comprenne que je l’aime, c’est elle, et ce sera moi, et des photos je lui en donnerai, et elle en prendra, et on fera rêver, mais juste nous deux. Plus besoin de rien montrer. Elle me fera arrêter de descendre elle. Elle me fera arrêter de descendre, je le sais, ces yeux le feront. Plus besoin de regarder quoique ce soit d’autre, plus besoin
de passer le temps, plus besoin de faire semblant. Plus de yeux rouges, plus d’insomnies, plus de café, ou alors quelques fois en terrasse avec elle. Elle adore les photos sur les terrasses en café, elle adorera, je le sais. Je descends, et le coeur serré, pourvu qu’elle me voit, pourvu qu’elle réponde, pourvu qu’elle m’aime, ah ce que ça changerait qu’elle m’aime, je serai un homme tellement bon, vous allez voir, elle fera de moi quelqu’un de bon,
d’assez bien pour elle.
Je continue de descendre en attendant qu’elle m’aime. Je ne sais pas pourquoi je fais cela, ni quand est-ce que cela a commencé. Pas que cela m’amuse, ou même me divertisse. Pas que le temps ait besoin de passer plus vite ce soir, mais il le faut, il le faut. Il le faut ce soir encore. Il faut qu’elle m’aime, ça je le sais. Il faut qu’elle m’aime ce soir encore.

Ce soir encore, il faudrait qu’elle finisse par m’aimer, oui, il le faudrait, je le sais. Il le faudrait, pour que je remonte.

M’hamed BELBOUAB