L’Opium & le Bâton – Mouloud Mammeri
NOUREDDINE Nourhene
À partir des années cinquante, en réaction à la colonisation, la littérature algérienne d’expression française devient très engagée, acquérant ainsi le statut de porte-parole du peuple algérien colonisé dans sa lutte pour la liberté. À l’aube de l’indépendance de l’Algérie, on assista à l’apparition d’une littérature centrée sur la quête identitaire et la consolidation de l’unité nationale. L’Opium et le Bâton, paru en 1965, est un roman de Mouloud Mammeri sur la guerre d’Algérie vécue dans un petit village de Kabylie. Réadapté en film en 1971, il connaîtra un succès phénoménal, considéré jusqu’à présent comme étant un des meilleurs films sur la guerre d’Algérie, avec la fameuse réplique « Ya Ali mout wakef ».
Contexte de l’Histoire
Nous sommes en pleine guerre de libération, dans un village de la Kabylie profonde Tala. La vie n’y est pas facile, la population vit dans des conditions catastrophiques, l’armée française avait rationné tous les produits de première nécessité tels que la farine, l’huile, les grains… « On ne peut faire qu’un repas par jour». Les humiliations s’enchaînaient, tout était bon pour rappeler aux habitants qu’ils n’étaient que de misérables indigènes qui devaient être fidèles à la France et tourner le dos aux fellaga qui ne faisaient que les utiliser. « Les fellaga vous affament, vous ruinent, vous égorgent, vous extorquent de l’argent, vous obligent à les nourrir sans que vous ne réagissiez ».
Les villageois ne peuvent rester neutres, quelle que soit la décision prise, ils seront en conflit avec l’un des partis. La plupart des habitants de Tala voulaient la libération : le jour, avec les Français ils jouaient la victime et la nuit avec les maquisards ils étaient des frères, obligés de pactiser avec l’ennemi pour rendre le travail de l’armée de libération plus facile. Malgré les différentes actions mises en oeuvre par l’armée française (interrogatoires violents, abattage des oliviers qui étaient leur seule ressource ainsi que d’autres humiliations), les villageois de Tala n’ont jamais cessé de se battre, avec leurs moyens, contre le colonisateur.
Développement
Dr. Lazrek Bachir… l’Intellectuel :
Dr. Lazrek mène une vie confortable à Alger avec Claude, une femme française qui aime la vie en Algérie. Le fait d’avoir fait des études en France rend la position de Bachir vis-à-vis de la guerre d’Algérie ambiguë. En effet, le jeune médecin fait l’autruche qui enfouit sa tête dans le sable et refuse de faire face à la réalité des choses. Il évite de lire les journaux et d’écouter la radio : « La presse d’Alger, sa radio sont des entreprises de viol organisé. Je n’aime pas être violé. » Une nuit, un messager de l’ALN se présente à la porte du Dr. Lazrek pour demander de l’aide pour soigner un militant blessé. Bachir refuse et lui propose de l’orienter vers un confrère. Lorsqu’il apprend que le messager est arrêté et torturé, il décide de retourner à son village natal Tala de peur que le messager ne le dénonce. Après près de dix ans d’absence, le village a beaucoup changé : sa famille et tout le village vivent dans de mauvaises conditions, sa soeur Farroudja et sa mère n’ont presque plus de quoi se nourrir, son frère Ali a rejoint les maquisards, et son frère aîné Belaid est devenu un informateur de l’armée française. De plus, les villageois sont soumis à la tyrannie des soldats français et aux humiliations de Tayeb le traître ultime, celui qui déshonore tout le village. Irrité, par ce qu’il voit, il se rend compte qu’il ne peut pas rester neutre devant une telle situation. Bachir se rend au maquis où il sera chargé de réorganiser le service sanitaire de la Wilaya III. Blessé puis arrêté, il est interrogé, mais finit par être relâché. On lui conseille de partir au Maroc le temps de reprendre des forces, il rentre au pays mais on ne le voit plus lutter, ni avec maquisards ni avec les français. Après ce qu’il a vécu, il ne veut rien savoir de la politique, et il veut rester à l’écart « ni l’opium, ni le bâton ».
Lazrek Ali… le Héros du Village :
Le plus jeune des frères Lazrek a choisi le maquis, il y est en tant que combattant, meneur d’homme qui rêve de voir son pays libre et le drapeau algérien flotter. Il est le parfait portrait de l’Algérien nationaliste qui porte un amour inconditionnel à la Patrie. Aucun sacrifice n’était trop grand à ses yeux pour rendre à l’Algérie sa dignité et sa liberté. Après de nombreux
combats avec l’armée française, il finit par être arrêté lors d’une mission qui a fait plus de 70 morts côté français. Il est exécuté sous les yeux de tout le village y compris sa mère et sa sœur… Sa mort fut suivie par la destruction de tout le village de Tala.
Tayeb… le Vendu :
Le traître par excellence, habitant du village de Tala, il s’est allié aux Français contre les siens. Il cherche à se venger de toutes les personnes du village après avoir été victime de leur mépris : «Vous étiez fiers de vos oliviers. Vous me méprisiez parce que je n’en avais pas….Maintenant c’est vous qui allez crever de faim. » Pendant des années, Tayeb était humilié au village et il acceptait cette situation sans dire un mot, « il disait oui à tout, trop longtemps que les humiliations lui revenaient de droit». C’est lorsqu’il fut nommé responsable du village et ayant acquis une certaine notoriété, qu’il reconnaît enfin l’oppression qu’il subissait et décida alors de tourner le dos à son propre village. Il prenait part à toutes les séances de torture et exerçait un chantage continu sur les habitants de Tala.
Les Femmes et la Guerre…
La guerre a touché tout le monde : les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants… Mouloud Mammeri met en avant le rôle des femmes, qui consistait à être des agents de liaison pour guider les Moudjahinine par des chemins tortueux à l’abri des soldats de l’armée française, comme le dit Tassadit dans le roman « je suis agent de liaison, je porte des messages, de l’argent, des armes aux maquisards ». La femme algérienne a été d’une grande aide dans le domaine du renseignement et du ravitaillement.
Conclusion
Cette œuvre de Mammeri est l’une des plus réalistes sur la période de la guerre d’Algérie. Beaucoup de passages retracent avec précision les péripéties vécues par les Algériens. L’auteur utilise également de nombreux termes en arabe et en berbère afin de renforcer l’identité algérienne ; pour cela, il fut couronné du titre de grand chantre de la culture berbère.
Le roman était aussi un message fort pour décrire la réalité de la région Kabyle qui était viscéralement attachée au nationalisme algérien et au combat contre la colonisation française, pour une Algérie algérienne, unie et indivisible. Il est également important de noter le fait que chaque
personnage de ce roman représente une catégorie de personnes durant la guerre de libération, du héros au traître ce récit offre une parfaite représentation de la société de l’époque où quelle que soit la catégorie ou la classe sociale à laquelle on appartient, la France tentait d’abord d’endormir les Algériens par l’illusion de l’intégration et de l’égalité et quand l’effet de cet opium s’estompait, le bâton de la l’injustice et des crimes contre l’humanité devait fendre sur eux.
Références :
- L’Opium et le Bâton – Mouloud Mammeri
- Panorama du Roman Algérien d’Expression Française : Espaces et Espérances – Synergies Algérie n° 26 -2018 p.67-85
- Liberal Democracies at War : Conflict and Representation
- Ecrire la guerre au Maghreb, la guerre d’Algérie