Le Savant & Le Politique – Max Weber

Nazih Mohamed Zakari KOUIDRAT

Max Weber est un éminent sociologue allemand, fondateur de la méthode compréhensive qui se base sur la compréhension des comportements des individus pour expliquer les faits sociaux. Sa méthode, conjuguée à celle de Durkheim, constituent le fondement de la sociologie moderne. Témoin de la chute de Bismarck et de l’effondrement de l’Empire Allemand (le Deuxième Reich), Weber s’est évertué à épierrer les racines de l’Etat moderne pour expliquer la catastrophe allemande. Philosophe mais aussi spécialiste en économie politique, il alliait les vertus d’homme d’action et d’homme de pensée, considérant la Science comme une boussole qui indique la direction générale et non la voie à suivre dans le labyrinthe politique, tant il fait montre d’une conscience aiguë des limites de la Science et de la pluralité des valeurs, ce qui établit une distance de sécurité entre la théorie et la réalité pratique, indispensable à toute pensée qui prétend à la sagesse.

Le Métier & la Vocation de Savant

Sciences & Neutralité Axiologique :

La pensée de Max Weber est empreinte de relativisme historique qui stipule que toutes les sciences admettent des présuppositions. Les sciences de la nature présupposent entre autres que leur méthodologie est juste et que le résultat en découlant est probant (exemple : les études sur l’efficacité des médicaments). Les sciences sociales sont plus contraignantes car elles s’intègrent dans une culture porteuse de valeurs et en subissent l’influence, ce qui fait que la juxtaposition de l’infinité des points de vue sur l’infinité des sujets produit des cas d’indétermination : « Tous les Dieux se combattent. » C’est pourquoi le scientifique doit être axiologiquement neutre face à son objet d’étude, c’est-à-dire ne porter aucun jugement de valeur qui sera forcément subjectif.

Au sein des Universités, le Professeur, en sciences humaines notamment, doit s’abstenir de toute prise de position politique s’il ne veut pas altérer la discipline qu’il enseigne, d’autant plus qu’il demeure incritiquable dans un amphithéâtre contraint au silence. Etudier et penser les structures et la philosophie politiques est tout à fait différent de la prise de position partisane, du moment que l’analyse scientifique objective force d’abord le Professeur à habituer ses étudiants aux idées inconfortables et de cesser de croire en une idéologie parfaite qui se réaliserait parfaitement dans un système parfait ; mais, hélas, « on ne peut démontrer scientifiquement à personne en quoi consiste son devoir de Professeur d’Université ».

En outre, Weber, lui-même Professeur, a remarqué chez ses étudiants comme attitude première ou primitive de chercher instinctivement un mentor auprès de leurs Professeurs, alors qu’un bon chercheur n’est pas forcément un bon enseignant, et les deux n’impliquent pas qu’ils seraient impérativement de bons chefs en ce qui concerne les dispositions de la vie pratique : « Vous venez à nos cours en exigeant de nous, qui sommes vos Professeurs, des qualités de chef sans jamais songer au préalable que sur cent professeurs, quatre-vingt-dix-neuf n’ont pas et ne doivent pas avoir la prétention d’être des champions de football de la vie ni non plus des chefs dans les affaires qui concernent la conduite de notre vie. »

Par ailleurs, en dehors des murs des universités, le seul lien avec la politique que la Science doit tolérer est celui du conseiller qui aide à prévoir, tant les vertus d’homme de science et d’homme politique peuvent être conflictuelles. D’ailleurs, R. Aron juge, dans la préface du livre, qu’aucun sociologue ou scientifique cohérent ne peut adhérer totalement au programme d’aucun Parti politique : « Il n’est pas d’exemple que l’opposition n’emploie des arguments injustes ou mensongers, arguments qui consistent à reprocher au Gouvernement de n’avoir pas remporté des succès qu’aucun autre n’aurait pu remporter ou d’avoir consenti des concessions qu’aucun autre n’aurait pu éviter. »

Signification de la Science :

Max Weber identifie le trait caractéristique des sciences modernes : la nécessité de la spécialisation. De nos jours, les travaux tout à fait accomplis sont les œuvres de spécialistes. De plus, en raison de son intégration dans le sillage du progrès scientifique général, celui qui souhaite faire de la Science une vocation subit une seconde contrainte épistémologique qui l’oblige à accepter l’idée de travailler pour être dépassé : « Nous ne pouvons accomplir un travail sans espérer en même temps que d’autres iront plus loin que nous. » Et selon l’hypothèse la plus optimiste, les travaux dépassés serviront d’outil pédagogique pour la formation scientifique.

Une interrogation s’impose. Quel sens pourrait avoir une vocation qui se consacre à des travaux destinés à être dépassés ?

Le philosophe allemand nous propose d’abord de réfléchir sur la signification de la rationalisation intellectualiste résultant de la Science : « Celui d’entre nous qui prend le tramway n’a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de se mettre en marche. Le sauvage [Il faut comprendre aborigène, ndlr.] au contraire connaît incomparablement mieux ses outils. L’intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons. » Par contre, la Science rend disponibles, à celui qui le veut bien, les outils qui révèlent les secrets des phénomènes qui gouvernent le monde ; elle permet de répondre à la question : comment maîtriser techniquement la vie ? Autrement dit, elle désenchante le monde.

Le progrès technique peut-il être satisfaisant comme vocation à laquelle on se consacre ? Quid des autres aspects de la condition humaine ?

Platon et Socrate, dans leur quête de la connaissance, cherchaient les concepts du Beau, du Bien, pour savoir in fine comment agir correctement dans la vie. Avec le développement de l’expérimentation scientifique, des génies tels que Léonard de Vinci cherchaient à trouver le vrai, « l’art vrai et la vraie nature ». Tandis que d’autres cherchaient à trouver Dieu grâce aux sciences. Aujourd’hui, il semble que la Science ait confessé ses limites sur ces questions et qu’il faille s’extraire de l’excès de rationalisme et d’intellectualisme pour y répondre. Contrairement à la Science qui appelle à un progrès sans but ultime, l’auteur prédit par ailleurs que les religions continueront de s’étendre en donnant du sens au monde et en proposant des chemins vers le bonheur, sans manquer de constater qu’en Occident, l’influence de l’éthique religieuse tend à rétrécir.

Si la Science n’arrive à répondre à aucune de ces questions et si elle ne peut nous dire « comment on doit vivre ou qu’est-ce qu’on doit faire », à quoi sert-elle ?

Les sciences de la nature nous fournissent les moyens de maîtriser techniquement le monde et de rendre ses phénomènes prévisibles en réduisant le champ de l’aléatoire, ce qui facilite notre quotidien, sans pour autant nous montrer la bonne façon de vivre. Par exemple, la présupposition générale en médecine est de préserver la vie ; mais la médecine ne s’interroge pas sur quelle vie mérite d’être sauvée et ne nous dit pas quoi faire pendant une pandémie quand la demande de soins excède les capacités du plateau technique.

Enfin, les sciences apportent de la « clarté » dans la vie sociale. A titre d’exemple, un savant peut suggérer les moyens mis en œuvre pour arriver à telle fin ou encore les fins et les conséquences qui dérivent du recours à tels moyens. Elles contribuent également à déconstruire les opinions des individus en mettant en lumière les conceptions d’où elles émanent pour les rendre plus tangibles à celui qui les défend : « La Science est de nos jours une « vocation » fondée sur la spécialisation au service de la prise de conscience de nous-mêmes et de la connaissance des rapports objectifs. »

Le Métier & la Vocation d’Homme Politique

Cette partie traite de la question de la politique en tant que vocation et ne correspond pas à une discussion sur quelle politique adopter.

D’abord, Max Weber commence par définir la politique comme « l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même Etat ». Il choisit également de définir l’Etat par l’un de ses traits caractéristiques : le monopole de la violence légitime. En d’autres termes, l’essence de l’Etat est un rapport de domination sur les hommes au sein d’un territoire donné, à travers la monopolisation des instruments de violence. Ceci nous évoque fortement Ibn Khaldoun qui avait observé que tous les Etats (pas dans le sens moderne) se formaient dans la violence.

Mais qu’est-ce qui rend cette violence, légitime aux yeux des dominés ? Weber propose trois fondements de la légitimité :

– Le Pouvoir Traditionnel : représente la tendance à obéir aux lois des traditions et à ce qui « a toujours été », par habitude, exemple : le patriarche, le seigneur.

– Le Pouvoir Charismatique : correspond à la dévotion à un individu ou à sa cause en vertu de ses qualités d’homme ou de la confiance qu’il inspire, exemple : le prophète, le chef de guerre, le chef d’un parti politique (le démagogue).

 – Le Pouvoir de la Légalité : consiste en l’obéissance à ce que l’on croit rationnellement allant de soi, grâce à un statut légal qu’on croit juste car rationnel, exemple : l’Etat bureaucratique ou l’Etat moderne.

Il paraît important de souligner que, d’après le penseur allemand, le devenir de tout pouvoir charismatique est soit la traditionalisation, soit la légalisation.

De la Bureaucratie :

Les trois types de pouvoir précédemment décrits ont besoin d’un « Etat-major administratif » afin d’asseoir leur autorité. L’obéissance de celui-ci au pouvoir répond à deux motifs différents, d’ordre personnel : la rétribution matérielle et l’honneur social. Ces intérêts forment une très forte solidarité avec le pouvoir en place.

Historiquement, l’administration a été divisée en deux catégories : celle qui possède effectivement les moyens de gestion (le cas des sociétés féodales) et celle qui a été recrutée par un chef uniquement pour gérer les moyens qu’elle ne possède pas (le cas des Sultans et des États Bureaucratiques). Dans la première catégorie, le pouvoir est partagé entre le Souverain et une Aristocratie indépendante économiquement ; dans la seconde, l’État bureaucratique, caractérisant le mieux l’État moderne, tend à centraliser tous les pouvoirs dans une seule main s’appuyant sur des fonctionnaires venant de couches sociales (ou familiales) dont l’honneur social et la fortune dépendent du détenteur du pouvoir.

La Bureaucratie s’est affirmée comme une nécessité des Etats modernes afin d’édicter des normes que les individus assimilent comme condition à leur intégration sociale, formant ainsi « une domination impersonnelle ». En plus de contrarier l’autonomie des individus, Weber mit en garde contre la tendance de la Bureaucratie à se rebeller contre le pouvoir des dirigeants politiques pour créer un pouvoir parallèle insoumis au peuple et à ses élus.

La Politique comme Profession :

Il existe deux types d’hommes politiques : celui qui vit pour la politique et celui qui vit de la politique. Le premier, indépendant économiquement, voit en la politique soit un outil de pouvoir soit une cause qui donne un sens à sa vie ; un recrutement généralisé sur cette base, rendrait la politique un travail honorifique avec des hommes plus indépendants mais finirait par verser dans la ploutocratie. Le second, encore nommé ‘politique professionnel’, dépend économiquement de son travail politique ; un recrutement généralisé sur cette base exige que le travail politique soit rémunéré. Néanmoins, ces définitions ne sont aucunement exclusives, celui qui vit pour la politique peut profiter de son statut pour s’enrichir plus, de même que celui qui vit de la politique n’est pas dépourvu de passion transcendantale pour son travail.

Quant à la distribution des postes aux hommes politiques, elle s’opérait d’abord selon l’allégeance au Prince. Cela dit, en Orient, le Sultan choisissait des conseillers ou des Vizirs en tenant compte de leurs qualifications afin de mieux épauler ses décisions. Par la suite, avec le développement de la finance, l’armée, la justice et la fonction publique, le népotisme entrait en conflit avec les besoins croissants en fonctionnaires spécialisés, hautement qualifiés.

Plus tard, l’apparition des parlements a bousculé cette organisation : « Ce sont des postes de toutes sortes dans les partis, dans les journaux, dans les coopératives, dans les caisses de sécurité sociale, dans les municipalités ou dans l’administration de l’État que les chefs de parti distribuent à leurs partisans. Toutes les luttes partisanes ne sont donc pas uniquement des luttes pour des buts objectifs, mais elles sont aussi et surtout des rivalités pour contrôler la distribution des emplois. » Ce que Max Weber qualifie de « spoil system ». En offrant au vainqueur tous les postes d’influence, il change les parlementaires en instruments à voter pour ne pas trahir le Parti de leur chef qui se convertit en un « dictateur plébiscitaire ». Ceci a encouragé la multiplication de Partis sans fondements philosophiques qui se transforment en machines modifiant leurs programmes au gré des tendances électorales : « Quand les partis sont dirigés et animés par des chefs plébiscitaires, il s’ensuit une ‘perte d’âme’ ou encore, une prolétarisation spirituelle chez ses partisans. Nous n’avons que le choix : ou bien une démocratie admet à sa tête un vrai chef et par suite accepte l’existence d’une ‘machine’, ou bien elle renie les chefs et elle tombe alors sous la domination des ‘Politiciens de métier’ sans vocation qui ne possèdent pas les qualités charismatiques profondes qui font les chefs. »

De surcroît, les parlementaires et leurs aspirations au pouvoir ont consolidé les liens entre le Prince et ses fonctionnaires pour protéger leurs privilèges respectifs, donnant naissance au cabinet, qui incarne cette solidarité contre les assauts permanents du Parlement. Sans oublier, le Chef de Parti doit nourrir les vanités de ses fonctionnaires : « Une des forces motrices les plus importantes de tout parti politique consiste dans la satisfaction que l’homme éprouve à travailler avec le dévouement d’un croyant au succès de la cause d’une personnalité et non pas tellement au profit des médiocrités abstraites d’un programme. C’est justement en cela que réside le pouvoir ‘charismatique’ du chef. »

Somme toute, il est extrêmement malaisé de penser la politique en tant que vocation tant que les intéressés ne sont pas assurés d’accéder à un poste conforme à leurs qualités. Ceci vaut particulièrement pour celui qui doit vivre de la politique qui se trouvera souvent contraint d’opter pour une carrière dans le Journalisme, la Bureaucratie des Partis, les Associations ou encore dans une Municipalité : « On ne peut dire rien de plus sur cet aspect extérieur dans la profession politique sinon que le fonctionnaire d’un parti politique partage avec le journaliste l’odium du ‘déclassé’. Ils se verront toujours traités, ne fût-ce que par sous-entendus, l’un de ‘scribe à gages’ et l’autre d’‘orateur à gages’. »

Traits Particuliers des Fonctionnaires & des Hommes Politiques :

Les fonctionnaires sont divisés en deux types : les fonctionnaires de carrière et les fonctionnaires politiques. Les premiers sont intouchables et hautement qualifiés (eg. les magistrats en France). Les seconds ne possèdent pas de poste fixe (eg. les préfets en France et ceux quittant leur poste après le changement de majorité en Angleterre). En Allemagne par contre, il était exigé des fonctionnaires politiques des diplômes et des qualifications supérieures, cependant certains postes en étaient exempts comme celui de ministre : « Sous l’ancien régime déjà on pouvait devenir en Prusse ministre des cultes et de l’instruction sans avoir jamais fréquenté personnellement un établissement d’enseignement supérieur. » Un Conseiller ou un Secrétaire Général (des fonctionnaires spécialisés), souvent fixe et stable, était plus puissant que le chef dans la gestion des affaires courantes. Le ministre avait seulement le rôle de faire appliquer le programme du pouvoir et de juger les suggestions des fonctionnaires selon ce dernier : la compétence subordonnée au pouvoir.

Quant aux avocats, Weber signale qu’ils sont les descendants des juristes, le fruit d’une rationalisation continue du droit et de la pensée juridique chrétienne. Il soutient que ce n’est qu’en Occident que les avocats ont constitué une couche sociale indépendante. L’importance de ces intellectuels en politique fut grandissante depuis le moyen-âge comme représentants de la Démocratie, jusqu’aux temps des Partis politiques. Comme ces derniers fonctionnent telles des entreprises d’intérêts, l’avocat s’est imposé comme le meilleur démagogue dans la défense d’intérêts, se mettant au-dessus de tous les fonctionnaires spécialisés.

« Depuis qu’il existe des États constitutionnels et même depuis qu’il existe des démocraties, le ‘démagogue’ a été le type du chef politique en Occident. » En effet, parmi les traits distinctifs entre le Chef politique et le fonctionnaire, on observe que le premier a pour responsabilité de s’investir dans le combat politique, alors que le second ne doit jamais prendre parti, il doit seulement administrer et intérioriser toutes les convictions du chef car son honneur et l’image qu’il a de lui-même sont conditionnés par la meilleure application possible des directives : « Les fonctionnaires qui ont moralement un sens très élevé de leur métier sont nécessairement de mauvais hommes politiques ; en effet, ils n’ont justement pas à prendre de responsabilités dans le sens politique du terme et par conséquent ils sont, de ce point de vue, des hommes politiques moralement inférieurs. Malheureusement, cette sorte de fonctionnaires occupait chez nous les postes de direction. C’est cela que nous appelons le ‘régime des fonctionnaires’. Ce n’est point flétrir l’honneur de la fonction publique allemande que de mettre en évidence ce qu’il y a de politiquement faux dans ce système lorsqu’on se place au point de vue de l’efficacité politique. » L’intellectuel allemand considérait le recrutement des chefs politiques parmi les fonctionnaires comme une des causes essentielles de la faillite de l’Empire Wilhelmien.

La Force de la Personnalité Politique :

La politique procure, en plus des avantages matériels et protocolaires qui donnent une distinction d’ostentation, un pouvoir réel sur les hommes et renforce le sentiment d’être au nombre de ceux qui font l’Histoire. Weber affirme que pour mériter de toucher à l’Histoire, l’homme politique doit posséder trois qualités : (1) La passion pour une cause noble, concrète, affranchie des effluves romantiques « pas ce carnaval que l’on décore du nom pompeux de ‘révolution’ » ; (2) La responsabilité des conséquences de ses actes même au détriment de son image ; (3) Le coup d’œil, c’est-à-dire que malgré sa passion, il doit savoir « laisser les faits agir sur lui dans le calme intérieur ». Le détachement, la maîtrise de soi et la passion dépassionnée, édifient la « forte » personnalité politique.

Les péchés les plus mortels en politique selon Weber, comportent la non défense d’aucune cause et la vanité qui annihile le sentiment de responsabilité : « Il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse de la politique que celle du matamore qui joue avec le pouvoir à la manière d’un parvenu, ou encore Narcisse vaniteux de son pouvoir, bref tout adorateur du pouvoir comme tel. »

L’Ethos de la Politique :

Analysant la politique comme un rapport de domination qui incube toujours la violence en tant que moyen de pression, le philosophe allemand s’interroge sur la place de l’éthique tant il reste toujours loisible d’invoquer des principes éthiques antinomiques, ployables à chaque situation, calibrés à chaque idéologie. Est-il possible alors de justifier scientifiquement ou objectivement son action politique ?

D’après Max Weber, l’activité politique se heurte toujours à deux types d’éthiques : celle de la conviction et celle de la responsabilité.

L’éthique de la conviction conditionne les décisions du politique par des principes qui viennent en amont de l’action. Si l’action est conforme à ses principes, il l’accomplira même si ses conséquences seront délétères pour la communauté, car il en imputera toujours la faute au monde qui est ainsi fait, qui ne le comprend pas, qui ne réussit pas s’élever au niveau de ses principes. Selon le philosophe allemand, son action sert uniquement de combustible pour entretenir la flamme de ses convictions personnelles.

Quant à l’éthique de la responsabilité, se rapprochant de l’utilitarisme (cf. article de Guerboukha N. – En quête de Bonheur – L’Utilitarisme – Medpress n°5 Août 2020), elle implique de ne considérer uniquement que les conséquences ; dans l’intérêt de la communauté, tous les moyens sont bons, même ceux qui sont moralement répréhensibles. Il reste toutefois pratiquement impossible d’affirmer de façon objective ou scientifique, si tel moyen justifie véritablement telle fin et de déterminer avec précision quand s’arrêter.

Au demeurant, le sociologue allemand nous fait remarquer que la différence entre l’homme politique et le simple citoyen est que celui-ci apparaît plus enclin à l’éthique de la conviction ne serait-ce que pour s’opposer à celui-là.

Malgré le risque de ‘perdre son âme’, Max Weber penche vers l’éthique de la responsabilité en politique, car celle-ci demeure une activité basée sur la domination et la violence du fait de l’impossibilité d’accorder les hommes sur les fins, étant donné que chaque mesure qui avantage une classe, désavantagera forcément une autre. Cependant, sachant qu’il est impossible de conclure scientifiquement à quel moment choisir l’une ou l’autre, ces deux éthiques doivent être complémentaires chez l’homme d’action.

Conclusion

Le relativisme historique de Max Weber semble être contributif à tempérer certaines ardeurs idéologiques. La Science, en lui assurant l’indépendance par rapport au politique dans ses objectifs, ses méthodes et ses résultats, doit guider les pas du politique, dans le cadre d’une connaissance et d’une conscience complète de ses limites pratiques. A titre d’exemple, penser l’ordre juste peut être réduit à la tentative de réponse à ces deux questions : « Faut-il favoriser l’élite et l’aider à s’épanouir ? Ou bien la sommer de faire plus d’efforts pour plus d’égalité ? » Chaque réponse appelle au recours à des méthodes différentes mais aucune d’elles ne sera scientifique. Faudrait-il peut-être, au lieu de penser les choses en termes de contradiction, les penser en termes de multiplicité, de cohabitation, et admettre la pluralité des valeurs impliquant la multitude des méthodes, pour atteindre le but ultime de travailler en synergie entre hommes intègres qui font de la politique leur vocation, pour le salut de la Cité.